Traques donne la parole à quatre personnages qui se croisent deux par deux.
Claire et Anatole. Elisabeth et Vincent.
Claire a fuit sa famille et le carcan dans lequel, elle et sa sœur Jeanne, ont été élevé : Au sein d’une maison en équilibre au bord d’une falaise qui s’effrite, dans le perpétuel et oppressant souvenir de leurs deux sœurs jumelles, noyées bien avant leur naissance et dont toutes deux portent, comme un fardeau, le prénom.
Anatole chassé de son pays natal, erre de pays en pays, d’usines désaffectées en marais isolé où règnent les exclus mais aussi la violence, la maladie, la mort.
Elisabeth croupit dans une maison de retraite qui jour après jour l’humilie, la catalogue selon son degré de dépendance dans les tâches de la vie quotidienne.
Son fils Vincent, le mal aimé, le frère de celui qu’elle a un jour répudié, est cadre dans une entreprise. Sans arrêt évalué, noté, jaugé, il s’en éloigne peu à peu, avant de s’en exclure.
Traques est un roman sur la fuite d'êtres face à un monde qui oppresse, qui compresse, qui nivelle, classifie. Les personnages sont enfermés, isolés. Se parlent peu, ne se touchent pas. Ils sont des fantômes, au-delà d’autrui, au-delà de toute aide extérieure.
De très beaux passages dans ces monologues sur la vieillesse
« On n’imagine pas que le corps d’un vieillard puisse susciter autre chose que des caresses contraintes, c'est-à-dire professionnelles. »
sur l’exclusion, le carcan du monde du travail
et celui parfois très lourd de l’entourage familial
« On nous avait ensorcelés, si bien tenu en laisse que nos vies, à force, peinaient à s’incarner et même n’y arrivaient pas du tout, en somme s’étiolaient – mon corps et mon esprit suffoquant sitôt la porte franchie la porte d’entrée de notre maison et nos vies rabougries à l’intérieur… »
L’écriture alterne mélange de faits bruts (notation d’Elisabeth par le personnel de l’asile, notes et jugement d’encadrement de Vincent) et longue prose poétique, comme pour mieux accentuer le fossé entre la brutalité du monde extérieur et la douceur du murmure intérieur de chaque personnage.