1828. Marion Gaudet vit dans une plantation dans le Sud des Etats-Unis, où elle promène son ennui et son détachement. Elle pose un regard froid et désabusé sur sa morne vie, sur son mari bête et méchant qui ne l’aime pas, qu'elle observe à la dérobée tandis qu’il se livre à son divertissement préféré :l’humiliation de ses esclaves. Evoque son quotidien où se mêle le passé, son père aimé, trop tôt disparu, ses regrets et ses aspirations vaines de femme libérée.
Et puis, il y a Sarah, son esclave attitrée, maîtresse malgré elle de son mari et mère d’un petit bâtard, Walter, créature ingouvernable, …petit chat sauvage, beau et rebelle, qu’un médecin diagnostiquera sourd. Entre Manon et Sarah, des relations ambiguës se nouent et se dénouent, tour à tour maîtresse ou esclave, rivales ou unies.
Comme un écho à cette atmosphère étouffante, à l’air lourd et pesant, la menace gronde au loin. Le choléra et la fièvre jaune décime La Nouvelle-Orléans et des esclaves fugitifs fomentent des révoltes que les patrouilles de planteurs parviennent de moins en moins à contenir.
Frappée de plein fouet par cette double menace, Manon en profitera, par un instinct de survie et d’indépendance, pour sortir de sa léthargie, sans toutefois parvenir à se départir de ce détachement, de ce vide laissé en elle.
Avec une écriture tendue et dépouillée, Valerie Martin tisse une fresque intérieure riche de silences, de regards appuyées ou fuyants, où s’emmêlent les fils des faux-semblants et des apparences, des bourreaux et des victimes.
Eclat de lecture :
J’ai demandé : « Qu’a dit le docteur à propos de Walter ? »
Elle a levé les yeux vers moi, puis les a reposé sur son travail avec une expression aussi impénétrable que celle d’un masque mortuaire.
« L’entend rien »
- A-t-il recommandé un traitement particulier ?
- Tout ce que le maître a dit, c’est qu’il n’entend pas.
- Et celle-là, elle entend, » ai-je demandé en désignant le bébé. Pour toute réponse, Sarah a posé le tissu sur ses genoux, s’est tournée vers la petite créature et a frappé dans ses mains ; à ce claquement, sec comme un coup de fouet, les bras de l’enfant ont jailli du berceau et elle a poussé un petit cri de surprise. Sarah s’est remise à son travail. Sa bouche avait un pli satisfait et insolent.
J’ai protesté : « Tu pouvais te contenter de me répondre. » Elle en arrivait maintenant à la couture de l’ourlet, qui s’est déchiré d’un seul cri.
Ici Le billet de Tatiana