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11 février 2007 7 11 /02 /février /2007 21:41



Aqueuse… « Ne vous inquiétez pas, je suis aqueuse… » Ce sont les tout premiers mots que tu as prononcés. Et moi qui, l’instant d’avant, évitais les flaques d’eau et ruminais mes pensées détrempées,  je suis parti d’un grand éclat de rire,  dégrisé aussi sec de mon vague à l’âme.

 

« A…quoi ? » Je crois bien que je ne connaissais même pas ce mot avant toi, et pourtant, j’en lisais des livres ! Je traînais déjà derrière moi une drôle de réputation parmi mes patients. Médecin du corps, médecin de l’âme, qui laissait traîner sur son bureau, en guise de presse-papier, des invitations à la lecture. Au moment de notre rencontre, c’était « Paroles » de Prévert. Je m’en souviens parce que « Barbara », Barbara sous la pluie. « Toi que je ne connaissais pas, toi qui ne me connaissais pas… ». Ces vers, je me les répétais sans cesse, ce printemps-là, ce printemps si pluvieux. Et ce jour-là, il pleuvait tout gris là-haut et j’étais en retard pour rejoindre mon cabinet que je venais d’ouvrir quelques mois plus tôt, en bas du parc. Je l’ai aperçu dans la courbe d’une ruelle. Elle sautait dans les flaques d’eau en protégeant sa lourde chevelure blonde par un panier ajouré qu’elle brandissait à bout de bras au dessus d’elle. Vaine précaution, la pluie ruisselait sur l’ovale de ton visage, plaquait des mèches de cheveux sur tes yeux, sur tes joues, sur ta bouche. Elle était comme ces petits chiots mouillés et faméliques qui jappent et se secouent  comme des fous au sortir de leurs premiers bains de mer. J’avais toujours aimé cette joie animale et fiévreuse, sans parvenir à démêler si ce que je préférais dans ces scènes dont j’avais souvent été témoin sur les plages d’Arcachon était l’envie que j’éprouvais pour leur spontanéité où ce plaisir secret et anticipé que me procurait la réaction outrée de celles (surtout !) et ceux qui avaient le malheur d’en être les victimes.

 

Je me suis approché de toi et j’ai coiffé ton panier ajouré de mon grand parapluie flambant neuf.  Je m’apprêtais sûrement à accompagner mon geste d’une phrase des plus banales, à mi chemin entre le sermon professionnel et le conseil paternel, genre « mettez-vous à l’abri, jeune fille, vous allez attraper froid ». Je n’ai jamais été un grand séducteur auprès des femmes ! Je ne t’ai jamais séduit, je n’aurais jamais voulu, ni pu d’ailleurs. Ca m’est tombé dessus. C’était l’eau de ce jour-là, dense, pénétrante. Elle était jeune, quatorze, quinze ans peut-être, et j’étais fou amoureux de ta grand-mère. Mais tu m’as coupé l’herbe sous le pied avec cette drôle de phrase ânonnée, presque chantée.

 

J’ai éclaté de rire et j’ai vu de la surprise dans tes yeux. Puis aussitôt un sourire et un flux de paroles, justement. Comme pour justifier le mot, un flux de paroles sur son ressenti …d’eau.

 

Et là, sous mon grand parapluie qui déverse sa coupole d’eau à nos pieds, entourés de flaques puis bientôt de petits ruisseaux qui dévalent les ruelles incurvées et entraînent des pétales de magnolia (« Oh ! Des barques de fleurs, regardez ! »), je m’accroche à ta voix, assourdie par le martèlement de la pluie, je m’accroche à ta voix d’où s’échappe, comme une victoire consentie par le ciel, des notes aigües qui en faisaient la louange : ondée, averse, nuée, crachin, mouillée, marée, océan, buée, glaçon, vapeur, écume, caresse…L’ensemble fluctuant au gré des inflexions de sa voix, j’avais cette étrange impression dans le corps, un peu comme le mal de mer, - mais peut être déjà tout autre chose, ce quelque chose qui t’échappe, qui te happe sans prévenir-  l’impression de voguer, debout sur un frêle esquif, au centre d’un océan légèrement agité,  un recueil de poésie grand ouvert devant moi, qui me permettait d’en décrypter le mystère. Tu étais d’une spontanéité, d’une maturité déconcertante. Déconcertante, car dès qu’elle cessait de parler d’eau, elle redevenait une enfant, vive, insouciante et légère comme le sont tous les enfants à cet âge-là. Puis, l’instant d’après les mots coulaient de sa bouche comme un torrent imprévisible qui charrierait tout à la fois une connaissance insoupçonnée et inédite du milieu liquide et un don inné à le décrire avec les mots les plus justes et les plus beaux de notre langue française.

 

Nous nous sommes rencontrés dans l’Allée du Moulin, je te montrerai la Villa Toledo et son escalier de dentelle blanche, et, à tous petits pas, je buvais ces paroles, nous nous sommes retrouvés dans le Parc Mauresque. A cette époque, encore, le Funiculaire, devant le casino. C’était toute une aventure pour descendre dans la ville basse !  Là, dans le wagon, tes yeux qui pétillent, gamine, comme dans un manège, un vieux manège en bois, sans la musique, sauf celle dans ta tête…

 

Je l’ai quitté Cours Desbiez, ton panier de nouveau sur ta tête, la pluie qui redouble et sa silhouette qui s’éloigne en sautillant dans les flaques d’eau vers l’épicerie Brémontier. Toute ma jeunesse, l’épicerie Brémontier…J’ai ouvert la porte de mon cabinet, mais j’avais sa silhouette dans mon dos, dans ma tête, et puis la vie, au sec, qui reprend son cours doucement. Les patients, les mots dits comme ça au détour d’une phrase banale, les mots, il faudrait toujours aller creuser ce qu’il y a en dessous, mais la salle d’attente, derrière la porte, autant de mots en suspension…Alors, les mots, tu les laisses un peu se dérouler tandis que tu saisis ton bloc d’ordonnance coincé sous tes bouquins. Tu noircis la feuille de mots, des noms un peu barbares, un peu savants, sensés adoucir le corps,  et tu prescris des mots plus doux, pour l’âme, pour ceux enroulés dans la gorge et qui font souvent plus mal que la grippe. L’extinction de voix, parfois, au propre comme au figuré. Tu tends l’ordonnance et parfois la pile de bouquin diminue un peu aussi…Justement lisez ça, vous me le ramènerez la prochaine fois. Et tandis que tu le raccompagnes à la porte, la veste alourdie d’un recueil où vient se nicher ton ordonnance, comme une feuille volante, un erratum quasi illisible de ton écriture patte de mouche, ton regard qui s’égare vers la fenêtre, la pluie toujours comme des points d’exclamation et ses mots à elle, soudain,  qui s’enroulent dans ta gorge. Tu veux les chasser de ta tête mais ils s’accrochent à ton corps…

 

 

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commentaires

L
J'ai reçu récemment le livre de Michèle Desbordes, je le feuillette seulement pour le moment, je veux m'y plonger bien au calme, mais j'ai presque la certitude que cet écrivain te plaira !
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S
Ah ! je pourrais donc lire prochainement un billet chez Lily , alors ?!
L
Merci Sandra !!<br /> Mamée fait partie de mon imaginaire à présent. Tout comme Jean-Baptiste, (j'aurais aimé un médecin qui me renvoie chez moi avec un livre... Et puis j'adore Prévert, et "Il pleuvait sur Brest ce jour-là.... Barbara").<br /> J'ai feuilleté un livre en pensant à toi aujourd'hui, Michèle Desbordes "L'emprise"<br /> "Il faudrait parler des larmes, de leur âcreté. De leur eau doucement amère, avant de ressentir sur la joue sa tièdeur, sa consolation de larme."
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S
Bonsoir Lily, Tu es adorable !Oui j'ai déjà entendu parler de "L'emprise". C'était une critique de Patricia Martin sur France inter, et je m'étais empressée d'en noter le titre dans mon petit carnet. L'extrait que tu cites est très beau, il faut vraiment que je le lise.