Merci, mille mercis Lily, de m’avoir conseillé de pousser les portes de l’univers de Virginia Woolf. Je suis plongée dans la lecture des « Vagues », traduit par Marguerite Yourcenar et j’en reparlerai ici sûrement, tant cette lecture me touche. En voguant de clics en clics, j’ai découvert un extrait d’une traduction plus récente et il m’a semblé très intéressant de le mettre ici en parallèle avec l’extrait traduit par Marguerite Yourcenar.
Petit clin d’œil à Holly et à son délicat travail d’orfèvre avec les mots…
Ah ! Ce que j’aimerais maîtriser davantage l’anglais littéraire pour découvrir l’œuvre original …
Extrait des Vagues de Virgina Woolf. Livre de Poche Biblio – Traduction de Marguerite Yourcenar - 1937
« J’ai arraché tous les feuillets des mois de mai et de juin, dit Suzanne, et vingt jours du mois de juillet. Je les ai arrachés et roulés en boule, de sorte qu’ils n’existent plus, sauf comme un poids que j’ai sur le cœur. C’étaient des jours infirmes, pareils à des papillons de nuit aux ailes recroquevillées, incapable de prendre leur vol. je n’ai plus que huit jours à passer ici. Dans huit jours, je sauterai du train sur le quai, à six heures vingt-cinq. C’est alors que mon sens de la liberté va s’épanouir, faisant craquer toutes ces restrictions qui le recroquevillent et qui le froissent : l’ordre, et la routine des journées, et l’obligation d’être ici, ou d’être là à heure fixe. Le jour jaillira comme un flot quand j’ouvrirai la portière, et quand je verrai mon père avec ses guêtres et son vieux chapeau. Je vais trembler. Je vais fondre en larmes. Puis, le matin suivant, je me lèverai à l’aube. Je sortirai par la porte de la cuisine. Je me promènerai dans la lande. De grands chevaux montés par des fantômes galoperont derrière moi, puis s’arrêterons soudain. Je verrai les hirondelles frôler les herbages. Je me laisserai tomber sur la berge, au bord de la rivière, et je regarderai les poissons se faufiler entre les roseaux. Les aiguilles de pins laisseront leurs empreintes dans mes paumes. Là-bas, je vais pouvoir entrouvrir et examiner de près ce que je ne sais quoi de dur qui ici a grandi en moi. Car quelque chose ici a grandi en moi, pendant tant d’hivers et tant d’été, dans les dortoirs et dans les cages d’escaliers. Je ne veux pas être regardée avec admiration par les gens quand j’entre dans les chambres. Je veux donner, je veux être donnée, et je veux la solitude pour y déployer en paix mes possessions. »
Extrait des Vagues de Virgina Woolf. Éditions Calmann-Levy, traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Cécile Wajsbrot. 1993
« J'ai déchiré tout mai et juin, dit Susan, et vingt jours de juillet. Je les ai déchirés, roulés en boule, pour qu'ils n'existent plus, il reste une lourdeur en moi. C'étaient des jours mutilés, comme des phalènes aux ailes rognées incapables de voler. Il ne reste que huit jours. Dans les huit jours, je descendrai du train, je serai sur le quai à six heures vingt-cinq. Je déroulerai ma liberté, et les restrictions qui froissent et qui plissent - temps, ordre et discipline, être ici et là à l'heure précise - exploseront. Le jour jaillira quand, ouvrant la porte, je verrai mon père avec ses guêtres, son vieux chapeau. Je tremblerai. J'éclaterai en sanglots. Le lendemain je me lèverai à l'aurore. Je sortirai par la porte de la cuisine. Je marcherai dans la lande. Les grands chevaux des cavaliers fantômes tonneront derrière moi et s'arrêteront soudain. Je verrai l'hirondelle raser l'herbe. Je me jetterai au bord de la rivière et je regarderai le poisson plonger et reparaître dans les roseaux. J'aurai les paumes des mains marquées par les aiguilles de pin. Je déferai, j'ôterai ce qui s'est formé ; la dureté d'ici. Car quelque chose a grandi en moi, au fil des hivers et des étés, sur les escaliers, dans les chambres. Je ne veux pas être admirée comme Jinny. Quand j'arrive, je ne veux pas que les gens lèvent les yeux avec admiration. Je veux donner, qu'on me donne, je veux la solitude, et découvrir ce que j'ai.