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M'écrire

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7 janvier 2007 7 07 /01 /janvier /2007 00:03
 

Deux hommes détruits par la guerre - savoir ou dire quelle guerre, la nommer, c'est à la fois important et sans conséquence- deux hommes à la porte d'eux-mêmes, deux hommes auxquels on a enlevé jusqu'à la possibilité de fuir...




Il y a d’abord Kateb, l’immigré kabyle, marié à une Française et pris avec elle dans les événements d’octobre 1961 à Paris. Et il y a Malo, le médecin français émigré et marié en Algérie, contraint de fuir ce pays lorsque arrive l’Indépendance. Deux trajectoires dans le dehors, le vide immense des apatrides. Deux expériences de l’étrangeté absolue, qui entrelacent jusqu’en mai 1968 les figures mimétiques de l’exil et de la violence insurrectionnelle.

Un premier roman intense, exigeant, qui explore les confins de l’isolement, de la stupeur vécue à hauteur d’homme quand le souffle de l’Histoire fait exploser les raisons de vivre, battre et claquer des portes qui jamais plus ne se rouvriront. Devant soi. Derrière soi.


Je n’ajouterai rien à la critique du Matricule des Anges dont le numéro de novembre / décembre qui lui est consacré m’a permis de découvrir de plein fouet l’écriture de cet écrivain.

Au-delà du (des) sujets historiques délicats et douloureux de ce premier roman publié en 2001– la guerre d’Algérie, la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, le retour forcés des Harkis en Algérie – La migration des truites -  celui des Pieds-noirs…- maîtrisés avec délicatesse justement, c’est avant tout l’écriture d’Arno Bertina qui m’a subjuguée : la multiplicité des voix, ce il qui devient je en plein milieu d’une phrase, ces personnages qui se mettent en abîme, qui sortent d’eux même, ce que "nous" peut être, du moins « je » fais très souvent, tout le temps, à tout moment de la journée, cette mise en abîme de moi, mais être capable de le poser sur le papier c’est fort.

Les filles sont encore petites. (…)  Quand il est seul avec elles, Kateb essaye de percer ce mur de colère mais à chaque fois dans leurs yeux c’est un étranger qu’il aperçoit, c’est cette image qu’elles lui renvoient. C’est un reflet, un entre-deux ; ça m’échappe, je lis dans leurs yeux : tu es l’étranger qui a pénétré ma vie dans l’intention de la pourrir.

Il y avait le crissement des freins sur les jantes en acier qui m’emplissait la tête et toujours au même endroit, à chaque passage de rame, la même gerbe d’étincelles bleues. Personne dans les wagon et puis un type aperçu dans le reflet d’une portière : j’étais assis, muet, attendant un métro, j’étais passé de l’autre côté de mon reflet…

 

Et puis cette écriture exigeante, chaque phrase travaillée, comme sculptée, ciselée, la richesse des images, des métaphores filées, notamment celle de la cicatrice, de la plaie, celle de la tête bien sûr mais également de la terre :

Ca vous ouvre la tête au forceps, les deux lobes du cerveau ça vous les prend, ça vous les masse…

 

Le long de la rive, les cabanes de pêche sont régulièrement disposées ; elles s’avancent sur l’eau avec leur ponton incertain et figurent, lorsqu’il est possible d’en apercevoir plusieurs en enfilade, les crans d’une immense fermeture Eclair, peut-être cassée, séparés par le fleuve de leurs homologues cousus à l’autre rive. Le fleuve ressemble, il raconte à une immense cicatrice dont les points de suture n’auraient pas tenu, béante.

Envie de citer tout comme ça, tellement c’est beau, tellement je me retrouve dans cette écriture-là…

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