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12 juin 2007 2 12 /06 /juin /2007 21:08
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Un grand MERCI  à toutes celles et ceux qui, ce week end, m'ont  entouré pour franchir le cap des .....


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35 BALAIS !!!!!!

On m'a écrit ce soir : " Voilà le genre de moments de bonheur qui te rappelle ce qu'est l'essentiel ! "


PS : Le soleil était de la fête et la vieille dame n'a pas été monté pour rien hi hi....!


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3 juin 2007 7 03 /06 /juin /2007 23:24
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Les Basses Gachères se font belles…

Une fête s’y prépare en secret…


 

 

Quand les souvenirs, les mots posés sur le papier et le présent se mêlent…

 

Même cérémonie qu ici :

La grande tente familiale s’est retrouvée étalée sur le sol, piquets d’un côté, toiles de l’autre, fin stratège au milieu se creusant la mémoire pour en retrouver un mode d’emploi vieux de 17 ans … (dernier état de service de la vieille dame pour nos 18 ans, t’en souviens-tu Fouinette ?)
 

 

 
Mode d’emploi retrouvé, une fois la vieille dame hissée, dans…

 

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La boite aux lettres !!!!!!

 

Espérons juste que cette fois-ci ses hôtes de passage ne la bouderont pas...(et le soleil itou )




 


 

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5 avril 2007 4 05 /04 /avril /2007 21:54







Ma récompense c’était le soleil. Le tout premier, vierge, pressé à froid au sortir de l’hiver. Celui qui frappe les façades des vieilles demeures sans en réchauffer le ventre qui ronronne encore du poêle à bois. Démasque les perles de poussières sur les carreaux des portes fermières. S’’enroule sur la pierre du porche comme un vieux chat qui vous chauffe la place pour la sieste. Je guettais ses apparitions intermittentes derrière la porte close pendant le repas, l’interminable repas dont je maudissais la longueur qui m’en faisait perdre la moindre miette, susceptible d’être engloutie à tout instant dans l’estomac d’un nuage gris. Je guettais la part du gâteau qu’il me taillait sur la pierre du porche et que je viendrais croquer de mon ombre, sitôt l’annonce du café, jambes croisées en tailleur, échine frissonnante, yeux plissées.

 

Yeux plissés par le soleil…C’est l’image qu’elle nous a laissé d’elle, devant cette même porte fermière, devant sa maison. Ce jour là, un soleil hivernal ou printanier est venu se couler entre les rides de Marthe, immortalisé sur le papier glacé  puis par la caresse d’un pinceau sur la toile. La photo a depuis longtemps disparu, elle traîne sûrement dans un carton au dans un vieil album de famille, mais le portrait est toujours là, aux Basses Gachères, en bonne place face à la porte d’entrée, sous l’escalier : Cheveux blancs veinés d’argent qui viennent s’échoir en deux vagues tout autour d’un front barré de rides horizontales, deux yeux sombres et plissés donc, creusés par les années, qu’adoucit un sourire énigmatique grignoté par l’ombre du nez. Le portrait est presque effrayant -toutes ces rides, ces deux puits si sombres - et fait peur aux enfants. Mais pour tout ceux qui l’ont connu, c’est bien elle, son « portrait craché » : Marthe, Mémé Marthe, Marthe Amelotte née Pie.

 

-          Tu t’en souviens ?

-          Oui un peu quand même, j’avais quinze ans l’année de sa mort…

-          Un peu ?

-        Oui un peu…par petites touches, des couleurs, des jeux de lumière, des odeurs, des petites scènes, des anecdotes, difficile de démêler l’écheveau de ses propres souvenirs et ceux de seconde main, mille fois racontés, mille fois enjolivés.

-          Tu t’en veux ?

-          Quoi ?

-          De ne pas avoir plus de souvenirs ?

-         Oui et non…Ce sont mes souvenirs, que veux-tu ? Ils sont fragiles, ils sont volages, ils sont mouvants. J’en veux plus sûrement au détachement que j’ai longtemps affiché envers les gens que j’aimais, trop concentrée sur ma personne, sur l’image que je voulais donner de moi aux autres, vers laquelle je voulais tendre, sur mes doutes, mes craintes, mon…le mot est trop fort mais oui mon dégoût de moi, dans le sens aversion. Mais l’enfance est insouciance et l’adolescence tumulte intérieur…Ce regard sur les autres, je l’ai aiguisé bien plus tard, quand j’ai commencé à m’aimer, à m’accepter du moins, quand j’ai compris ma différence, l’importance de la cultiver sous peine de me perdre à nouveau et que j’ai réalisé que l’on m’aimait, que l’on m’aimerait plus sûrement, plus sincèrement telle que j’étais et non tel que j’ai longtemps cru vouloir devenir…

-          Ta différence ?

-          Mon goût pour la solitude, pour la rêverie, toutes ces questions, cette recherche perpétuelle, ce « murmure intérieur », tel que le décrit si bien Charles Juliet. Et quel bonheur, justement, quand on se découvre dans la vague des mots des autres, quand paradoxalement on ne sent plus seule dans sa solitude, dans sa différence…

-          Revenons-en à Marthe, veux-tu ?

-          Mémé Marthe…Je ne l’ai jamais appelé que de cette façon…dans ces années-là, on disait Mémé…Mamie en tant que mot est venu bien plus tard. Un anglicisme peut être…Un « jeunisme » sûrement ! Nos Mamies d’aujourd’hui, nos Mamies modernes, bien pomponnées, souvent actives,  sont si différentes  de nos Mémés d’antan.

-          Mais pourquoi « l’évoquer » aujourd’hui, maintenant ?

-          Parce ce que ces derniers temps j’ai pris conscience de la fuite du temps, de son inexorabilité,  et en les évoquant justement, en puisant au fond de moi, de la beauté, de la pureté de mes souvenirs d’enfance. C’est la « Recherche du temps perdu » de Proust que je découvre, que je déguste d’ailleurs, tout en écrivant ces mots. Ce sont tous ces petits moments évanescents que je trimballe à fleur de peau et qu’un souffle de vent, un presque rien indéfinissable suffit parfois à faire éclore. Et ce presque rien justement reste bien trop souvent indéfinissable, happé en plein vol par l’éclosion fulgurante de ces moments enfouis. Dans la famille Madeleine, je demande la mère, le père, le petit fils…mais ils sont bien souvent aux abonnés absents…  

-          Et pour mémé Marthe, ta madeleine…Le soleil ?

-          Oui mais pas n’importe lequel ! Le printanier, le frissonnant, l’éblouissant, celui qui vous hèle derrière les carreaux, celui que vous vous languissez de rejoindre, et cette attente, cette peur de le perdre, c’est presque insupportable…Et cette chaleur pure, fraîche ( !), et cette solitude (déjà !), et cette lumière vive,  quand derrière vous le café s’éternise (et vous souhaitez de tout votre corps qu’il s’éternise) dans la touffeur des pièces qui sentent le renfermé de l’hiver, dans un tintement de petite cuillère et de conversations qui s’étirent et dans le clair-obscur intérieur.

-          Tu parlais de couleurs, de jeux de lumière tout à l’heure, dans la palette de tes souvenirs de Marthe …

-          Oui, c’est l’obscurité de la pièce de vie que je perçois tout d’abord. Comme le fond, dans un tableau. Une obscurité que la lumière ne parvenait à percer ni l’été, filtrée par une cascade de lanières multicolores qui pendouillaient, tel son spectre en plastique, devant l’étroite porte fermière, ni l’hiver, concentrée dans un halo nacré que diffusait un lustre monte et baisse en opaline dentelé.

-          Et l’odeur ?

-          L’odeur du vieux poêle  à bois évidemment, mais ça j’en ai déjà parlé…

-          Elle imprégnait tout cette odeur : Les meubles, les fauteuils…

-    Son lit aussi. Caché derrière un paravent et recouvert d’un épais et soyeux édredon bordeaux dans lequel nous plongions, ma sœur et moi, pour jouer à la piscine. Et ça, ce n’est pas un souvenir de seconde main, crois-moi ! j’en souris encore aujourd’hui, je peux presque sentir la caresse de l’étoffe sur mon visage et son odeur fumée, oui.

-          Qu’aperçois-tu dans ce décor ?

-          Oui, tu emploies le mot juste. C’est un décor en effet, un décor de théâtre, celui de ma mémoire, un décor mouvant. Le lit n’est déjà plus là, derrière son paravent, mais sûrement dans la chambre du fond, la nouvelle chambre refaite à neuf par Marcel et Jeannette qui s’occupent d’elle à présent. Et l’édredon n’a pas survécu au déménagement. A gauche de la porte, dans la pièce de vie que l’absence du lit agrandit, j’aperçois un fauteuil ou une chaise rustique mais je ne distingue pas sa forme exacte, juste un petit cousin couleur vieux rose qui recouvre l’assise. Et sur ce fauteuil ou cette chaise, une vieille femme penchée sur son canevas, à s’user les yeux sur des brins de laine de plus en plus gros, tandis que le temps n’en finit pas de détricoter sa pelote de vie.  

-          Sa pelote de vie ? Que sait-tu de sa vie ?

-   Rien, si peu. Des bribes d’histoire éparpillées dans la mémoire de ses petits-enfants. Une vie rude, une vie de douleur qu’elle s’est taillée à travers le siècle. Un mari alcoolique et brutal, le bruit assourdissant de son fusil le jour où il s’est suicidé dans un champ, tout près de la maison, tout près des fossés où elle passait certaines nuits, recroquevillée avec ses deux filles, quand elles trouvaient porte close. Porte close, forteresse d’ivrogne, menaces de mort, hégémonie de l’homme rustre et violent. Et l’amour ? Absent de cette vie là, un mot qu’elle n’ose peut être jamais prononcer. Mais qui sait ?  Qui savait, qui connaissait son jardin secret ? Pouvait-on avoir un jardin secret dans ces années là ? Un amant, un amant tendre, discret ? J’en doute mais quand je revois ses yeux qui toujours pétillaient de malice, peut être un peu moins !

-          Ses deux puits si sombres ?

-          Moi, je me souviens surtout de l’éclat qui brillait tout au fond, de cet éclat qui la nourrissait. Je n’ai pas en moi l’image d’une femme triste, aigrie mais celle d’une vieille femme déterminée, forte, qui pétillait d’amour, d’humour. Toujours pimpante quand elle sortait de chez le coiffeur, la mise en pli impeccable de ses cheveux blancs, un peu rosés, et le rose de ses joues également quand elle revenait de ses virées entre copines au club du « troisième âge ». Toujours prompte à participer à nos jeux d’enfants, les lits en portefeuille ou les draps parsemés de gros sel, nos batailles d’eau où elle protégeait avec une lueur malicieuse dans les yeux celles et ceux qui trouvaient refuge derrière elle !

-          Complice ?

-          Oh oui complice ! Complice de nos petits secrets également quand plus tard, bien plus tard nous venions, ma sœur et moi, l’embrasser dans sa chambre dès notre arrivée le samedi midi, avec, dans la main, une barre de Mars ou de Bounty que nous lui glissions en cachette.

-          En cachette ?

-          En cachette de ma tante Jeannette qui imposait à ses quatre-vingt dix passés un régime sans sel- je revois encore le paquet de biscotte au liseré vert - au grand dam de maman qui s’indignait que l’on puisse priver une si vieille femme des douceurs de la vie.

-          Ca partait sûrement d’un bon sentiment…

-          Ou d’un conseil d’un médecin un peu trop zélé ! Les médecins, d’ailleurs, elle ne dut pas en voir beaucoup dans sa longue vie. Adepte de la médecine naturelle, elle partait cueillir les orties blanches à mains nues. J’ai le souvenir d’une visite d’un de ces vieux médecins de campagne. Le souvenir, ou plutôt le fait que ce moment soit devenu une anecdote familiale. Nous avions fait appel à un docteur pour notre nonagénaire donc, pour je ne sais quelle raison et cela a peu d’importance. Quand celui-ci était arrivé, nous étions tous attablés dehors, sous le tilleul devant sa maison. Mon enfance est ponctuée de repas de famille sous le tilleul, devant l’une ou l’autre des deux Basses Gachères, d’ailleurs…Autant j’ai pu exécrer ceux qui me privaient du soleil, autant ces repas de famille champêtres, qui se mêlent tous en un seul « mouvement »,  sont indissociables de mon bonheur d’enfance.  Toutes les heures des longues journées d’été semblaient tendre vers ce moment de communion entre le ciel, la campagne et les hommes …Q’une goutte de pluie nous prive de cette récréation, et c’est toute la journée qui devenait insipide. Et en l’occurrence, ce jour là, le repas extérieur semblait fort compromis puisque les premières gouttes tombaient déjà quand le médecin, nous saluant au passage, fut conduit à l’intérieur au chevet de notre malade. Quand, après toutes les conjectures d’usage en ces  moments-là – sur les rapprochements des gouttes sur la paume de la main, sur le nuage qui va passer j’te dis - il fut décidé de battre en retraite vers la maison (« chacun est responsable de son couvert »), nous vîmes passer le médecin en sens inverse, saluant distraitement une bande de déménageurs trempés, tandis que le soleil, farceur, resplendissait à nouveau au dessus de notre table abandonnée…

-          Ah les repas de famille !

-          Ils étaient légion chez nous, du temps de mon arrière grand-mère car tous les ans son anniversaire était prétexte à de grand rassemblement. Là aussi, mes souvenirs se mêlent en un seul « mouvement » au son de « voulez-vous dansez grand-mère » de Chantal Goya, qu’on nous forçait à chanter devant tout le monde (le supplice !), seule condition pour « avoir le droit » de quitter la table plus tôt et partir jouer avec les cousins (et, encore, cela dépendait du degré de sévérité des tantes et créait bien des histoires et débats passionnés sur le laxisme de l’éducation moderne). Au rang des souvenirs visuels, une photo de tous les cousins, la seule qui nous réunisse tous peut être) assis sur les barreaux de l’échelle qui menait à notre chambre.

-          Tu es nostalgique de cette époque ?

-    Est-on nostalgique de son passé ? Oui et non…Oui car tout un pan de ma vie m’échappe…Enfant, adolescente, on n’a pas cette envie de grattouiller le passé, de savoir par la voix de l’aïeule d’où on vient, ce qui nous a construit et les liens si fort de l’amour qui nous unissent, en l’occurrence son lien maternel qui l’unissait à mon père, si jeune orphelin de mère, et l’amour donc qu’elle devait ressentir à notre égard, les enfants de son petit…Et puis non, car je suis construite de ce tissu d’amour et à quoi bon on en savoir plus quand on la devine en nous, cette filiation de la terre par l’arrière-grand-mère, cette amour pour la terre des Basses Gachères, justement, qui est née de cet amour-là, de cet équilibre là   : l’amour d’une grand-mère pour son petit-fils, mon père, qui me semble (mais en est-on si sûr ?) avoir si peu souffert de l’absence de la mère parce que la grand-mère a pris naturellement le relais,  grâce à ces deux yeux, ces deux puits d’amour.

-          On en revient aux yeux…

-          Oui, c’est la seule chose qui me reste d’elle ; j’ai oublié le son de sa voix, le son de son rire mais je revois, les yeux fermés, ses deux yeux sombres qui pétillaient d’ironie, qui pétillaient de soleil

-          Le soleil sur le porche ?

-        Oui, le soleil pressé à froid au sortir de l’hiver et derrière moi, dans la fraîcheur, dans l’obscurité de l’hiver, son regard qui réchauffe ma nuque.

Pas besoin de me retourner, chaque printemps, elle est là …

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31 octobre 2006 2 31 /10 /octobre /2006 00:39

Il avait mis l’après-midi entière à la monter, et ce malgré un savant procédé de marquage mis au point la dernière fois. L’ennui, c’était que la dernière fois, ça devait bien remonter à une bonne dizaine d’années et il faut bien reconnaître que sur une aussi longue période, toute traçabilité, aussi ingénieuse soit-elle, a ses limites : Des lambeaux de ruban adhésif crème adhéraient au fond du grand sac toilé et sur ceux qui miraculeusement étaient restés enlacés toutes ces années à leur montant d’acier, l’encre avait fondue comme neige au soleil. Difficile dans ces conditions de distinguer la croix du cercle qui permettait jadis d’associer par famille les baguettes de ce mikado géant. Depuis quelques heures déjà, le gazon grillé près de la vieille grange était devenu un véritable champ de bataille : A l’aile droite, des rangées de piquets gris au repos avant le garde à vous, à l’aile gauche, des paquets de toiles, camaïeu de bleus et de beiges, comme autant de drapeaux repliés qui attendaient la charge pour se déployer. Au centre, un fin stratège, mon père, qui triait, décodait, regroupait, emboîtait, écartait, tantôt debout, l’air vague et calme du général en pleine réflexion, tantôt accroupi, le nez sur le plan de bataille, vieux parchemin craquant aux couleurs sépia sur lequel s’estompaient des schémas ancestraux.

 
On s’étaient toutes trois regroupées à l’arrière, dans la cuisine, cantonnées derrière la fenêtre coulissante par laquelle on distinguait toute la scène.  Un repli discret avait succédé à de timides suggestions – As-tu besoin d’un coup de main ? T’es sûr ? Tu crois pas que ces deux là pourraient aller ensemble…Bon, si t’as besoin de nous…-  mais notre enthousiasme habituel et nos fous rires de conspiratrices avaient rapidement fait place à une sourde inquiétude : et s’il n’y arrivait pas ? Toute notre logistique hôtelière reposait sur ce grand dortoir improvisé où nous avions prévu de parquer les cousines. Et notre fête, notre grande fête, qui approchait à grand pas.

 
Le soleil rougeoyait déjà entre les deux chênes quand il put enfin s’accorder le repos du guerrier devant la grande table sous le tilleul. Un verre de rosé à portée de main, il contemplait, pensif, sa victoire durement acquise, son champ de bataille transformé en camp de base : la grande toile de tente familiale, bleue délavée, se dressait fièrement au milieu de la pelouse et dans ses entrailles, deux chambres de fines toiles beiges étaient fin prêtes à accueillir quelques jours plus tard ses hôtes de passage, le temps d’une nuit de repos qu’on espérait la plus courte possible. Et à son regard méditatif, on devinait qu’il dressait déjà le plan de sa prochaine bataille avec le temps.

 
Car la dernière fois qu’on l’avait monté, cette fameuse tente, ça devait bien remonter à. Oui, au moins. 76, l’année de la toiture, l’année de la sécheresse. La toute première année de notre transhumance…

 
Du plus loin que je me souvienne, cette transhumance avait ponctué toute mon enfance, et pas seulement les jours où elle avait lieu. Dès le jeudi soir, l’étroit couloir de notre demeure mancelle se remplissait d’objets hétéroclites, poussés le long du mur, en file indienne : les à descendre. Il y avait là les incontournables : bacs remplis d’outils, bleu de travail repassé ( !) et plié, paniers de jardinier en plastique vert bouteille remplis de bocaux et de bouteilles (vides)…Et puis, les saisonniers : boucheuse prêtée çà et là à ramener à Marcel, cubi vide à déposer à Chahaignes, sachets de semis, carnet de santé d’Ulysse qui avait son vétérinaire personnel à la Chartre. Le tout laissant peu de place, donc, pour se mouvoir jusqu’au samedi midi. Il le fallait pourtant, se mouvoir, le samedi midi, si on voulait éviter la foudre du grand yaka pressé de rejoindre Sa campagne. Et si la plupart du temps on écartait bel et bien la foudre paternelle, on échappait rarement aux étincelles maternelles qui ne manquaient pas de jaillir au son d’un ben t’es pas encore prête ?  Parfois la tension de ces départs précipités se prolongeait jusque dans l’habitacle de notre R16 où le silence, à l’avant, accompagnait les tous premiers kilomètres de notre périple hebdomadaire. Il ne durait jamais bien longtemps toutefois malgré des paris mémorables du style puisque c’est comme ça je ne vais pas dire un mot de tout le trajet. Incapable de rancune (et surtout de long silence), maman détendait bientôt l’atmosphère en s’extasiant devant un beau jardin fleuri ou en s’interrogeant devant l’étrange immobilité d’un couple de canards que, semaines après semaines, nous apercevions toujours au beau milieu d’un plan d’eau, à la sortie du Mans. (Jusqu’à un samedi particulièrement froid où nous constaterions, hilares, la forte résistance de ces deux pauvres leurres plumetés toujours coincés au beau milieu du plan d’eau …gelé). Mais parfois c’était le drame : aux portes de Parigné, maman s’exclamait ma pilule !  Et tout était à refaire : le trajet en sens inverse et l’atmosphère à détendre.

 
Le trajet, nous le connaissions par cœur : Le Mans, sa rocade et ses innombrables feux - dont nous mesurions surtout la multitude les jours de tension, voir plus haut - , Parigné Lévêque, la longue ligne droite dans la forêt jusqu’au Grand Lucé où longtemps nous nous arrêterions sur la grande place pour y faire des courses (avant de définitivement la bouder quand la déviation serait mise en place), Saint Vincent du Lorouët (et son virage en épingle à cheveux qui serait la terreur de nos premières leçons de conduite accompagnée), Saint Pierre et sa boulangerie jaune où le paquet de chewing gum citron – comme la boulangerie - coûtait deux francs, le petit bourg de Brive et l’épicerie bar de la Mère Richard, qui jouait les prolongations avec la retraite, et enfin le garage Rabarot, ou plutôt ce qu’on en distinguait, derrière les longues files de voitures parfois là depuis des années, si l’on en croit la végétation qui reprenait çà et là ses droits parmi les épaves. Là, le clignotant à gauche animait subitement Ulysse, notre cocker noir, le troisième enfant de la famille (dont nous étions toutes deux jalouses de ses prérogatives de petit dernier) qui s’éveillait illico presto de sa fausse torpeur sur la plage arrière. A croire qu’il avait marqué son territoire sur tout le plateau jusqu’en bas de la côte de Bellivière ! Il sautait donc allègrement entre nous deux sur le siège, nous piétinait sans vergogne les cuisses jusqu’à ce qu’il atteigne, presque en état de manque,  le petit interstice de la vitre ouverte pour, la truffe au vent, humer les effluves de terre et de vigne mêlées qui composaient le parfum subtil de son terrain de jeu. C’est ainsi que nous grimpions les derniers kilomètres, dans les virages ombragés de Bellivière, une effervescence mâle contenue à l’avant, nettement moins à l’arrière, si l’on en juge par les traces de truffe humide qui embuaient notre visibilité latérale.

 
Car sitôt arrivés, les deux mâles, j’ai nommé mon père et Ulysse, se mettaient aussi sec, si je puis dire, en tenue de campagne : le premier en bleu de travail, le second en poil efflanqué après un passage dans la mare.

 
Parce que Lhomme c’est notre estive, notre alpage, bien que l’on y descende, sud Sarthe oblige : On y migre chaque fin de semaine et chaque saison estivale pour se ressourcer, croquer l’herbe tendre et troquer son pelage bien peigné de citadin contre une toison broussailleuse de campagnard.

 
Pour l’herbe tendre, on ne manque pas de ressources, entre un jardin au rendement déchaîné dont les bienfaits laissent parfois à désirer (maux de dos annuels à l’arrachage des pommes de terre et travail à la chaîne chronométré devant le stérilisateur de bocaux) et les produits locaux : Jasnières et Coteaux du Loir bien sûr -cru du cousin Croisard oblige-, lait fermier de Fernand et de Paulette et fromages des biques de la mère Branlard -ainsi que les asticots non moins locaux qu’ils hébergent. Bio, quoi. Le tout étant voué le plus souvent à investir provisoirement l’étroit couloir manceau à chaque retour citadin, le temps de décharger la voiture de son potager migrateur, sous l’œil hilare des voisins que l’on imagine tapis derrière leurs rideaux

 
Quant au dépaysement campagnard, c’est un trois étoiles assurées avant l’heure dans le manuscrit des « Gîtes ruraux de France ».

 
***Partage :

 
- Communauté de bien entre les Basses Gachères des Breton et celles des Allard (Jeannette et Marcel) : Casiers Allard dans cave Breton, Courrier Breton dans boîte à lettres Allard, etc.

 
***Isolement :

 
- Commerces à plus de six kilomètres, rejetés à la périphérie du plateau.

- Communication filtrée et codifiée (le téléphone a mis des années avant de franchir le seuil des Basses Gachères, côté Breton. Avant on se débrouillait sans, avec celui des voisins et une banale corne de brume pour tout lien. Un coup : venez prendre l’apéro, deux coups : téléphone. Mais plus souvent, le téléphone chez les voisins – quand ils étaient absents- déclenchait un sprint dans le chemin entre les deux maisons : le temps d’arriver chez Marcel et Jeannette, d’insérer la clé dans la porte et de courir jusque dans le salon sombre et bingo : ça sonnait  plus ! Deux cas, ceux qui connaissaient les habitudes de la maison et qui rappelaient 5 secondes plus tard et les autres qui entraînaient doutes et suppositions pour le reste de la journée. Et puis un jour, quand même, on a fait tirer une ligne : marre des intermédiaires façon téléphone arabe euh Allard pardon et surtout marre des courses folles ! )

-Exception culturelle : Pas de radio, de musique (si on excepte un vieux mange-disque orange), ni surtout de télévision (Et quand celle-ci fit enfin son apparition à la faveur d’une coupe du monde de foot qui rajeunit miraculeusement le parc manceau, ce fut très vite pour découvrir les prémisses de Canal + : chaîne en noir et blanc cryptée de vert et d’ondulations impromptues.)

 
***Silence :

 
Si on excepte :

 
- Les cris, à l’heure des Vêpres, de la Mère Branlard rappelant ses ouailles à cornes (ttes)

- Les petits sous, les hiboux, les coucous

- Les « Vous savez pas quoi faire les filles ? » de l’oncle Marcel (A quoi, très vite, on su trouver la réponse infaillible : « Si, si, Tonton, on sait quoi faire »

 
Trois étoiles, vous dis-je, qui ne manquaient pas d’attirer un flux de citadins en mal de rusticité, bien contents parfois d’arriver à bon port après trois heures d’errance dans la Sarthoisie profonde, et que l’on accueillait avec bonheur et surprise (Ah la joie des visites à l’improviste, reléguées aux z’oubliettes à l’ère des téléphones portables).

 
Aussi, certains étés à Lhomme, on ne chômait pas : travaux de restauration oblige, c’étaient, à n’en plus finir, de longues attablées de copains qui s’improvisaient ouvriers maçons, couvreurs ou plâtriers d’un jour, et pour lesquels il fallait bien sûr mitonner de bons petits plat bien « gouleyants » dans une cuisine rudimentaire où la bassine à vaisselle ne désemplissait pas, tandis que dehors les cafés s’allongeaient des éclaboussures des batailles d’eau.

Mais la campagne a aussi ses détracteurs, urbains impénitents estampillés indécrottables en mal de bitume et de palpitations citadines. Alors, que faire face aux cousines de Paris qui ont peur des p’tites bêtes et des bruits nocturnes ? Demander à un Général dépité de démonter son camp de base boudé par les troupes parisiennes et l'aider à le ranger consciencieusement dans son grand sac toilé.

 Jusqu’à la prochaine fois.

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17 mai 2006 3 17 /05 /mai /2006 23:37
 

 

Nous, c’était rarement de beau matin, plutôt le soir, à la fraîche, quand le soleil déclinait entre les grands chênes. Et on revenait tout au bord de la nuit, éclairés chichement par des phares intermittents et pâlots, les jambes fraîches et piquantes. Les années passant, avec Flo, on essaiera pourtant toutes sortes de combines pour y échapper : fatigue, mal de tête, trucs sympas à la télé  quand notre bonne vieille mémère de 15 ans, en noir et blanc, atterrit enfin à la maison de campagne pour y passer une retraite bien méritée, peu avant la Coupe du Monde de football en 86, si je ne m’abuse. (Il n’y a jamais eu mieux pour booster la vente des téléviseurs, à croire que les grands évènements sportifs n’existent que pour cette seule et unique raison). Mais on finissait toujours par les accompagner, souvent de mauvaise grâce, dans leur sacro-saint Tour de la Brèche. D’ailleurs, c’était devenu une expression, un mot de passe, un cri de ralliement pour les initiés : On faisait « le Tour de la Brèche », pas « par la Brèche », et je doute que les habitants qui se sont succédés dans cette modeste ferme, située au carrefour « de la Brèche » à mi-parcours de notre tour, ne se soient jamais doutés de l’importance que revêtait le nom de leur demeure dans notre jargon campagnard. Alors, on courait chercher les vélos dans la vieille grange (« mets quelque chose sur ton dos, il fait plus frais ») et parfois un bon dépoussiérage s’imposait quand ils avaient passé tout l’hiver enfermés. Ces soirs-là, il fallait aussi chercher la pompe, parmi les outils, et nous montrer une énième fois, patiemment -n’est pas moniteur auto-école qui veut- comment regonfler nos roues mollassonnes. (Ce qui entamait sérieusement notre quota d’heures diurnes en ces débuts de printemps, d’où le retour entre chien et loup, avec des phares intermittents, donc).  A chacun sa couleur de vélo : rouge pour papa, (vélo de course avec sonnette agrémenté d’une petite plaque gravée à l’adresse mancelle, on ne se donnerait même plus la peine de proposer cette option aujourd’hui), vert bouteille asorti d’une sacoche kaki pour maman,  bleu pour Flo, et enfin le mien, gris. A vrai dire, il ne fut jamais réellement  mien, dans le sens appropriation de l’objet. Car mon vélo de cœur, celui de mes premières acrobaties, il était orange, et c’était un beau cheval de course qui se cabrait avec dextérité dans la descente des Basses-Gachères. Mais un jour il fut trop petit (j’ai toujours été  haute sur patte) et c’est comme ça qu’on se retrouve avec un vélo gris, un bleu à l’âme pour le vieux cheval alezan disparu.

 
Grimpés sur nos bicyclettes, nous étions aussitôt confrontés à un premier dilemme : Tourner à droite ou à gauche au bout de notre chemin. A droite, c’était l’assurance d’une courte descente dans laquelle on ne savait jamais s’il fallait freiner ou tout relâcher pour mieux affronter la grande côte de chez Fernand, et à gauche, une petite montée en douceur suivi d’un long plat. Bizarrement, alors que nous n’étions pas échauffés, nous options souvent pour la grande côte de chez Fernand, à droite. J’ai des souvenirs de courses folles nocturnes, à l’arrivée, dans la petite descente des Basses-Gachères, à croire que notre choix de départ n'était dicté que par la perspective de notre retour triomphant, grisés par la vitesse et l’air vivifiant de la nuit. Là, commençait l’aventure. Et des souvenirs, j’en ai à la pelle, collés aux pédales de mon vélo gris. Des souvenirs de chutes, immanquablement ! (Car qui dit vélo, dit chutes). Flo était championne en la matière ! Nous avions beau avoir grandi dans le giron de la sécurité routière, cela n’empêcha nullement ses écarts de conduite à deux roues dus à la vitesse excessive ou à sa rencontre inopinée avec d’autres usagers de la route, parfois imposants sur ces étroits rubans d’asphalte. Sa chute la plus mémorable, pourtant, n’eut pas lieu à l’occasion de notre sacro-saint tour familial. Nous étions seules toutes deux et dévalions la descente de chez Paulette et Fernand où nous avions peut être été chercher du lait. (« J’ai la mémoire qui flanche ») Si tel était le cas, il est fort à parier que le vieux bidon à lait tintinnabulant avec sa chaînette se trouvait accroché à mon guidon car je n’ai pas le souvenir d’une double catastrophe : une flaque blanche à côté du sang de ma sœur. La chute fut sévère, dans le creux, juste avant le raidillon courbe qui menait à notre chemin. En la rejoignant, je ne sais pas ce qui me prit, je fus prise d’un fou rire incontrôlable au souvenir de son vol plané, fou rire exacerbé par sa mine déconfite et ses yeux furibards devant ma réaction imprévue. Autant dire que plus que jamais ce jour-là, le reste de la côte fut achevé à pied, Flo, grimaçant, clopin-clopant, moi, réfrénant par tous les moyens les hoquets contrariés qui montaient de ma poitrine, par respect pour la douleur de ma soeur. Au-delà de sa souffrance d’ailleurs, sa première réaction devant les parents fut de critiquer mon comportement puéril : « Et cette grande bécasse qu’arrête pas de se marrer… ». Pourvu que personne ne donne un jour une explication scientifique au mécanisme du fou rire : Ils sont souvent liés à nos meilleurs souvenirs !

En revanche, nous étions bel et bien tous les quatre, sur l’itinéraire de la Brèche, à quelques mètres de la Moutonnière, quand notre équipée à deux roues croisa en chemin un monstre des campagnes : une moissonneuse-batteuse. Au cœur de l’été, pendant une ou deux semaines, selon les caprices météorologiques du val de Loir, notre campagne habituellement calme s’emplissait de leurs ronronnements nocturnes, symphonie pastorale bourdonnée qui fluctuait au gré de la position de l’archet sur les sillons d’or. Il n’était donc pas rare, à cette époque de l’année, de croiser ou bien de suivre l’un de ces énormes monstres verts sur nos petites routes étroites, dont l’étroitesse même rendait impossible toutes velléités de dépassement. Tapotant nerveusement sur votre volant, vous étiez condamnés à rouler à dix à l’heure derrière lui, vous garer prestement au plus près du fossé ou bien trouver refuge dans la première entrée de ferme venue, quand celle-ci n’était pas la destination finale du conducteur haut perché qui, par de grands gestes frénétiques, s’évertuait tant bien que mal à vous dissuader d’y entrer. Et quand, minuscule fourmi affolée sur une selle de vélo, vous croisiez l’un de ces engins, le cou démis pour tenter d’apercevoir le conducteur, les oreilles saturées par cet effroyable bourdonnement, cette fois si proche de vous, mieux valait poser pied à terre et serrer le plus à droite, quitte à se faire chatouiller les gambettes par les herbes folles des bas côtés. Mais à force de serrer à droite, parfois on ne voit pas venir le fossé sournois, toujours creux malgré les apparences. Et ce jour-là précisément, la moiss’bat n’eut pas l’art de nous croiser au bon endroit puisque Flo, encore, apeurée par le monstre métallique hurlant, ou bien –pour une fois- trop zélée devant l’ordre maternel que l’on entendait à peine (« GARE TOI BIEN A DROITE !), glissa dans un fossé …rempli d’orties. Et, tandis que nous changions notre fusil d’épaule -  la Brèche définitivement râpée pour ce soir-là, mieux valait opter dans l’urgence pour la Moutonnière où Louise saurait apporter les premiers soins -  cette mésaventure cuisante (surtout pour les cuisses de l’intéressée) aurait au moins le mérite de nous permettre d’accéder toutes deux à un nouveau statut, en nous autorisant enfin à tremper nos lèvres dans un breuvage qui nous était jusqu’alors interdit  (sauf le vin coupé à l’eau parfois, quel sacrilège !) : l’alcool des grands. Car tandis que Louise traînait sa forme grise dans l’arrière cuisine afin d’y rapporter une bouteille de vinaigre pour en badigeonner les cloques blanchâtres qui constellaient les cuisses en feu de ma cadette, le grand père ouvrait prestement un placard d’où il ressortait le petit remontant du soir : le cassis fait maison. A chacun sa madeleine de Proust, nous c’est le petit cassis des campagnes !

 
La campagne, justement, que l’on sillonnait à deux roues le temps d’un week-end ou plus longuement l’été, nous offrait surtout la possibilité de s’affranchir des éternels conseils de sécurités maternels prodigués tout le reste de l’année dans notre fief citadin. Les routes désertes étaient à nous et tout, ou presque, y était permis, à la condition expresse de faire attention  à ce fou de Busson qui déboulait comme un taré. Plus tard notre voisin troquerait, c’était à prévoir, ses vieilles guimbardes dangereuses contre une voiture sans permis, ce qui nous permettrait en tendant l’oreille de dire Ah ! C’est Busson  quand auparavant son passage était salué par une formule à l’imparfait. Sur nos montures d’acier, nous étions les reines du bitume : acrobaties en tout genre, slaloms, debout sans les mains pour épater la cousine de Paris en perpétuel apprentissage quand elle descendait en Sarthe, et échappée belle dans le Tour de la Brèche. Et la reine de l’échappée belle, c’était encore…Flo. Elle avait horreur d’être derrière et passait donc le plus clair de son temps à regarder derrière elle pour vérifier qu’elle était bien devant tout le monde. Ce qui n’était pas sans certains déboires pour elle parfois et pourrait peut être expliquer ses maux de nuque à répétition aujourd’hui. Ainsi, quand lassés de notre tour habituel, nous prenions des chemins de traverse, il n’était pas rare, à une intersection, de la voir se retourner et s’époumoner vers le peloton de queue : « on tourne ou on va tout droit ? » Papa, l’aile du nez frémissante et un clin d’œil à notre attention,  lui criait « tout droit » pour aussitôt tendre son bras et…tourner, ce qui bien sûr déclenchait notre hilarité quand elle regardait à nouveau derrière elle, en pestant de rage. Mais elle avait vite fait de nous rattraper en quelques coups de pédales rancuniers et, nous dépassant dans la descente en regardant à nouveau derrière, une question lancée au vent «  On atterrit où par là ?», finissait sa course folle …dans le fossé. (Heureusement sans ortie, il n’y aurait pas de petit cassis cette fois-là).

 
Car les descentes (et par voie de conséquence les montées), on en connaissait un sacré rayon dans le coin ! L’inconvénient d’être niché sur un plateau désert bordé de coteaux de vigne…C’est beau, mais ça descend, et forcément quand on est en bas, et bien, il faut remonter. Et donc, comme le plateau est désert, tous les villages aux alentours sont situés, par définition, …en bas du plateau .En tête du palmarès des côtes infranchissables, on pourrait citer celle de la Gidonnière qui nous permettait de rejoindre la Chartre en quatre coups de pédales. En revanche, pour revenir, c’était une autre affaire. Longue, tortueuse et exposée aux affres de notre astre, elle avait tout pour plaire aux cyclistes du dimanche que nous étions. Si l’on ajoute que les rares fois où nous sommes descendus à La Chartre en vélo c’était pour nous rendre à la piscine, voire, devant les grilles closes de la piscine (qui a oublié d’appeler avant ?), il est alors plus aisé de se figurer notre état de fatigue ou de dépit au retour, tandis que nous grimpions, virages après virages, à côté de nos montures, le bas des jambes couverts d’éraflures à force de se prendre des coups de pédales. La côte de Lhomme n’était guère mieux, plus sournoise peut être, comme si une main invisible avait laissé tomber sciemment un long ruban gris souris qui donnait l’apparence depuis la sortie du bourg de gravir en douceur le coteau de vigne. L’apparence seulement, car une fois celui-ci grignoté de quelques mètres, le corps en danseuse et les jambes ankylosées,  il fallait bientôt se rendre à l’évidence : On n’éviterait pas, là non plus, les coups de pédales dans les mollets. Mais tandis qu’à nouveau, nous marchions à côté de nos montures, on ne pouvait s’empêcher de penser que cette main invisible avait peut être  bien fait les choses puisque elle nous permettait d’admirer longuement les coteaux du Jasnières et ses ravissantes petites maisons de vigne en pierre de tuf. Quant à la  côte de Courdemanche, c’était indiscutablement notre préférée. Dommage, cependant, parce qu’à Courdemanche, côté commerces, c’était pas vraiment ça. Toute aussi longue et tortueuse que les deux  précédentes, notre chouchoute avait  cependant un avantage à son actif : celle d’être ombragée à mi parcours. La partie la plus ardue s’enracinait au pied d’un grand chêne, signalant l’orée d’un petit bois qui bordait la route de chaque côté et où, à bout de souffle, nous mettions souvent pied à terre tandis que simultanément maman plongeait une main gourmande dans sa sacoche kaki à la recherche de son péché mignon à teneur garantie en magnésium et en fer : des barres de chocolat ! J’ai souvenir d’être parvenue à la grimper entièrement au moins une fois. Illusion, peut être ?  Qu’importe ! Papa, lui, se vantait de la dompter à tous les coups. Ce qui, au cours d’une journée caniculaire, au sortir d’un déjeuner bien arrosé avec des amis- apéritif à l’Oberlin oblige-  se transforma par un essai marqué, dans le cadre d’un pari mémorable. Et tandis que ces Messieurs, l’œil brillant, grimpaient sur leur vélo sitôt le café avalé, les femmes, un peu inquiètes en les regardant partir, avaient au moins la certitude qu’ils ne souffriraient pas d’insolation dans la grande côte protectrice.

 
Mais comme nous n’étions que des amateurs de bicyclette et que nous tenions à l’élasticité de nos cuisses et à l’uniformité de notre bronzage estival ou, selon, de nos rougeurs – malheureusement, pour une fois, Flo n’était pas la championne en titre de cette dernière catégorie -, nous nous contentions, la plupart du temps, de sillonner, en long, en large et en travers, notre cher plateau. Ce qui n’était déjà pas si mal si on considère que celui-ci n’était pas vraiment à la hauteur de sa définition puisque sérieusement vallonné. Car, quand nous nous écartions de notre tour familial pour prendre des chemins de traverse, c’était bien souvent pour solliciter à nouveau nos mollets en direction du Panorama, le Panorama de Mon Idée, au cœur de la vigne, qui embrassait depuis son charmant cabanon aujourd’hui disparu toute la vallée depuis Ruillé jusqu’à Lhomme, ou pour écorcher nos longues gambettes en nous hissant sur la table du Dolmen de Maupertuis, qui s’élevait en contrebas d’un long chemin caillouteux, qu’il fallait bien sûr gravir au retour. C’est pourquoi nous finissions toujours par nous sacrifier pour le traditionnel Tour vespéral de la Brèche, un moindre mal en somme. Et quand on revenait tout au bord de la nuit, éclairés chichement par des phares intermittents et pâlots, on pouvait distinguer, loin devant un vélo vert bouteille qui avançait, tranquille, derrière une brassée de blés verts ou de tournesols allégrement butinés dans les champs, trois silhouettes lancées à vive allure dans la descente des Basses Gachères. Puis, si on tendait l’oreille au dessus de la chorale nocturne des petits « sous », quelques crissements de freins bien appuyés suivi d’un cri triomphant : « Gagné ! ». Flo, bien sûr.


On n'est pourtant pas le 1er décembre !

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13 avril 2006 4 13 /04 /avril /2006 21:17

Nous arrivions souvent les premiers, aux premières lueurs d’un soleil automnal blafard, chaussés de bottes en caoutchouc sur nos survêtements usés, un k-way tout froissé au cas où, et notre sécateur, indispensable et précieuse arme, qui tintinnabulait  au fond de nos seaux vides.

Nous arrivions souvent les premiers, prenant au passage, au bout de notre chemin,  Jeannette et Marcel dans notre vieille R16. On se serrait un peu à l’arrière, leur faisait de la place en riant, poussant sur les fesses d’Ulysse, notre cocker noir, pour essayer de le hisser sur la plage arrière, sa place favorite, où ses coussinets esquivaient les brûlures dont nos cuisses conservaient le souvenir estival sur les sièges en faux cuir noir. Nous descendions à droite du chemin et dans le creux, juste avant la grande côte de chez Fernand, mon père actionnait son klaxon trafiqué, à notre plus grande joie à toutes deux.

En haut de la côte, en passant devant la Duranderie, nous saluions Fernand, déjà à l’œuvre dans son potager. Ma mère, à l’avant, serrait entre ses jambes, son vieux bidon à lait tout cabossé, en prévision du retour, quand nous nous arrêterions pour le remplir, souvent au pis de la vache, du breuvage encore chaud et mousseux destiné au miot du soir. Nous échangerions deux, trois mots sur le temps avec la taciturne Paulette. Fernand, passant devant l’étable, lancerait d’un ton guilleret « Ma jument l’avait ben prévu, l’orage de c’te nuit… ».

2 francs… 2 francs le bidon… J’avais perdu ma pièce, une fois, dans un fossé d’herbes grillées, en balançant trop haut l’anse en bois…

Nous arrivions souvent les premiers et mon grand père était déjà dans la cour de la Moutonnière ou remontait de la cave, une main derrière son dos voûté, la gapette solidement vissée sur la tête, les yeux plissés.  La grosse Louise, sa compagne, apparaissait dans l’entrebâillement de la porte fermière, sa masse énorme et grise semblant faire corps avec la partie basse fermée.

La joyeuse équipée abandonnait la R16 près du grand saule pleureur et s’ébrouait dans la cour dans un claquement de portières.  Ulysse, le chien le plus rapide qui soit pour sortir d’une voiture- labourant au passage les cuisses des passagers arrière- ne faillait pas à sa réputation, bien heureux de s’éloigner des chaussures de sécurité de l’oncle Marcel.  Papa s’avançait vers son père, pour échanger une solide poignée de main, et un «  t’a d’jà fait ton tour ? ». Marcel suivait et pressait l’action avant même le salut du matin. D’un ton faussement sévère, Maman rappelait Ulysse qui était déjà loin, tandis que Jeannette s’avançait de sa démarche hésitante vers la grosse Louise, qui semblait à présent vissée sur la pierre du porche.  Ma sœur et moi, on faisait semblant de défroisser nos K-way, repoussant de notre mieux l’instant où il nous faudrait effleurer les grosses joues flasques de la Louise, premières vagues d’un corps houleux, ainsi que l’attestaient quelques soutien gorges, bonnets G,  qui ballottaient sur un fil à linge, tels un amas d’algues grisâtres.

La cour bientôt se remplissait de voitures : Des oncles, des tantes, des cousins de Bessé, de La Bazoge et parfois les petits cousins viticulteurs de Chahaignes, quand ils ne vendangeaient pas eux-mêmes ce jour là, en contrebas du plateau, sur les coteaux ensoleillés de Lhomme. Il traînait dans la fraîcheur du petit matin un air de fête, de tradition sacrée, de responsabilités aussi pour les plus jeunes d’entre nous qui brandissaient fièrement leurs seaux ou leurs paniers en plastique.

Marcel, qui ne tenait déjà plus en place, expédiait les retrouvailles familiales par des intempestifs « Y’êtes-vous ?... » Bon, on va p’t être  pas traîner là, y’a du boulôt »…Alors la troupe se mettait en marche, par petits groupes, sur le chemin qui descend vers la cave, nichée tout en bas à l’orée du bois du grand-père. Au premier virage, on remontait les cols, l’air est plus vif à l’ombre des grands chênes qui bordent le chemin à droite, mais bientôt nous respirions à plein poumon le parfum annonciateur de la vigne,  une odeur unique, multiple, presque insaisissable qui mêle les essences les plus brutes et les plus suaves : La terre froide blanchie par les premiers givres, le bois de sarment, le suc du fruit mûr ou pourri…

La vigne de Pierre n’était pas bien grande, tout au plus une vingtaine de rangs en pente douce qui sillonnaient horizontalement le contrebas d’un vaste champ. Mais qu’ils me semblent longs dans mes souvenirs, quand il fallait les remonter pour dénicher les grappes oubliées.

A l’entrée de la cave, tandis que les plus jeunes, avides de mains poisseuses, s’approchaient furtivement des premiers ceps pour goûter les précieuses billes sanguines, les choses s’organisaient dans un brouhaha d’ordres et de recommandations controversés. A notre plus grande fierté, papa remportait comme chaque année le plus haut grade : porteur de hotte !  Les rangs étaient distribués, deux par deux, le matériel consciencieusement vérifié – y’ coupe pas mon sécateur ! – et le top du départ lancé par le sacro saint gardien de la cave : mon Grand Père.

-          Allez vous aut’es, travail bien réparti ne tue pas !

Pierre, mon grand-père était un homme d’économie. Aussi rude que la terre du val de Loir qu’il avait façonnée toute sa vie, il fallait piocher loin en lui pour trouver de la tendresse et de la loquacité. Ainsi, cachait-il le plus souvent ses mots et ses émotions sous de vieux dictons ou expressions émaillées de patois local qui lui permettaient surtout l’économie d’un long et vain discours.

Or cette année-là – je devais avoir 12 ou 13 ans- nous devions découvrir, nous, ses petits enfants présents, ses aides vendangeurs d’un jour, que sous son apparente âpreté se nichaient un esprit vif, tendre et non dénué d’humour.

Tandis que chacun rejoignaient son rang, l’arme au poing, le seau en main, mon père hissait sa lourde hotte et en ajustait méticuleusement les lanières à ses épaules. Il demeurait quelques instants près de mon grand-père, à l’entrée de la cave, dans une même posture de gardiens silencieux, complices et imperturbables, semblant tout deux faire corps contre quiconque pourrait en perturber l’équilibre en ce jour de fragile alchimie. J’ai d’ailleurs peu de souvenir de ce lieu mystérieux où la femme n’était pas toujours la bienvenue.

Très vite,  cependant, il rejoignait le gros de la troupe qui s’activait avec entrain sur les premiers ceps enguirlandés de grappillons violacés.

-          Bah alors ! Qu’est-ce que vous bouiner avec vos sécateurs ? z’êtes pas prêts de remplir ma hotte ! , lançait-il, moqueur, à la cantonade.

Une flopée de protestations enjouées s’élevait alors généralement des dos courbés et c’est à cet instant précis, cette année-là,  que Stéphane, l’un de mes cousins, se piqua au jeu favori du grand-père :

-          Les grands diseurs ne sont pas les grands faiseurs !  Lâche donc ta hotte, si t’es un homme !

-          Eh ! Qu’est ce qu’il a le gnard ? , rétorque alors mon père,  en s’avançant dans le rang du cousin, l’air faussement batailleur

-          Panier ! lance, deux ou trois rangs plus loin, l’oncle Marcel qui comme d’habitude avait achevé la besogne en un tournemain.

Tandis que mon père, détourné de ses pensées badines, s’avance vers son beau frère pour le décharger de sa première récolte,  le cousin grommelle entre ses dents :

- Ah Marcel ! Egal à lui même…Aussitôt dit, aussitôt fait ! Mais…Qui veut voyager loin ménage sa monture !

On entend alors l’oncle Georges, pourtant d’habitude fort discret, lui rétorquer, très pince sans rire :

- A cœur vaillant, rien d’impossible !

Le ton de la journée était donné, sans aucun conciliabule préliminaire. Emoustillé par le grand air et le travail collectif, la complicité familiale ne fut jamais aussi implicite que ce jour-là. De confidentielle, la joute verbale se répandit peu à peu dans la vigne, sautant allègrement les rangs, rebondissant sur les seaux, répondant aux cliquetis des sécateurs.  Il  y eu bien sûr les habituels réfractaires – l’oncle Marcel en tête,  « mais taisez-vous donc, ça n’avance pas ! », les « longs à la détente » - en chef de file maman qui s’était un jour exclamée en jouant au Tarot «  qu’est- ce qu’on fait quand on a le Petit ? » et enfin les plus jeunes – dont nous faisions partie ma sœur et moi – à qui ils manquaient les références littéraires et autres connaissances ancestrales pour pouvoir rebondir allégrement sur les jeux de mots des aînés. Mais très vite, les règles du jeu  s’imposèrent à tous et la vigne ne fut bientôt plus qu’un champs de rires étouffés, qu’un chant de mots à brûle-pourpoint entrecoupés de « oh ! bien joué ! » de « bof facile ! », de «  déjà faite, cette-là ! » et de la sempiternelle remarque du retardataire « oh non ! J’allais le dire ! ». De badins et spontanés, les dialogues devinrent orientés, à seule fin de pouvoir placer, le plus naturellement possible, sa petite contribution littéraire, que l’on se répétait mentalement pendant de longues minutes en attendant le bon moment et que souvent on oubliait tout aussi vite dans le fou rire collectif.
 
Ainsi, put on entendre, en réponse à Maman qui se lamentait de n’avoir toujours pas rempli son premier seau, le cousin Stéphane reprendre le flambeau et lancer un  « T’inquiète pas, Tata, les petits ruisseaux font les grandes rivières » vexant d’emblée Maman, encore hors jeu,  qui se réfugia derrière la légendaire excuse de tout bon vendangeur qui se respecte : « N’empêche ! J’suis sûre que je suis tombée sur le rang le plus chargé », coupé d’un non moins légendaire « Panier ! » - Marcel toujours - déclenchant un « encore ? !  » -  collectif cette fois - suivi d’un commentaire de notre porteur de hotte qui, se piquant également au jeu, s’engouffra dans la brèche par un : « Et oui, M’sieurs Dames, c’est à l'œuvre qu’on connaît l'artisan… »

Tous les prétextes sont bons pour placer sa trouvaille. Un « j’vous préviens, je m’arrête au bout du rang » préfigure un «  qui va doucement, va sainement » aussitôt contredit par un intempestif « Il ne faut pas jeter le manche après la cognée ».  Un coup d’œil vers le ciel gris et bas présage un «  Le temps s'abernodit, y’va cheu une rnapée » suivi de « pluie du matin n’arrête pas le pèlerin » tandis que mon père courant de panier en panier répète à chacun « j’arrive, j’arrive…je n’ peux pas être au four et au moulin »…

Le coup de grâce fut porté vers 10 heures, quand le grand-père sortit enfin de sa tanière, la main en visière,  et s’écria :

-          Tout vient à point à qui sait attendre ! La pause au bout du rang !

A sa grande surprise, son appel, habituellement salué par des soupirs de soulagement, provoqua l’hilarité générale. Oubliant le « bout du rang », on lâcha  prestement seaux et sécateurs à ses pieds, se découvrant soudain, désarmé, les mains gourdes et poisseuses. Tandis que chacun remontait son rang vers la cave, Maman y alla de son laïus moralisateur- « J’veux pas vous entendre devant le Grand Père, vous m’arrêtez ça tout de suite ! » ouvrant bien malgré elle des perspectives nouvelles aux joueurs les plus assidus, qui plus est las de conjuguer les vertus du  travail et du courage à tous les temps, surtout gris. (L’un d’entre eux lançant un « t’inquiète Fany, qui aime bien, châtie bien », qui ne laissait rien présager de bon pour la suite des évènements)

Un vieux cabanon en bois vermoulu jouxte la cave taillée à même le tuffeau. L’intérieur y est sombre et humide et une odeur acre de moisissure vous prend à la gorge la porte à peine franchie. Sur la table entourée de bancs brinquebalants, un petit banquet improvisé attend les vendangeurs : Hareng pomme de terre échalote, terrine de rillettes, pains de deux, pêches de vigne à la peau duveteuse…Au centre, trône une bouteille de Jasnières du cousin Croisard, entourée de petits verres ronds de cantine que nous nous empressons de soulever, un peu collés à la vieille toile cirée passée de couleurs, pour y regarder le numéro porté en dessous et jouer au jeu du «  t’as quel âge, toi ? ».

Le cousin Croisard s’empare de la bouteille et confirme, avec dans le regard qui pétille soudain un je-ne-sais-quoi d’humilité et de fierté mélangé, le cru choisit par le Grand-Père. « Pendant que tu y es, sers donc ! »  Chacun se tient debout, à distance respectable autour de la table pendant le service. Puis, les petits verres passent de main en main, s’entrechoquent les uns avec les autres et sont portés aux lèvres dans un silence presque religieux. Les langues claquent, se délient peu à peu tandis que l’on traîne les bancs pour prendre place autour de la table. Les hommes se partagent le hareng sous l’air dégoutté des femmes qui préfèrent  les tartines de rillettes bien grasses.  On ne sait d’ailleurs qui, à ce moment là, commet, à dessein sûrement, le pire sacrilège qui soit en matière de boulangerie, mais il provoque aussitôt l’effet escompté : Le pain de deux retrouvé sens dessus dessous arrache un « Y’a le diable sur la maison» conjointement prononcé par le Grand père et Maman, l’un avec effroi, la seconde, une pointe d’ironie dans la voix, à l’intention de nous, ses filles, qui passions notre temps à se moquer gentiment de ses belles manières apprises chez les bonnes sœurs de Ruillé.  Les esprits les plus avisés se regardent, l’œil malicieux de la complicité retrouvé, bravant le regard sévère de maman qui comprend un peu tardivement la subtilité du piège où elle s’est fourvoyée.  Ma sœur en profite pour river son clou au cousin Hervé qui s’est jeté goulûment sur le pot de rillettes, lançant rapidement, de peur qu’on ne lui vole la primeur, un « N’aie pas les yeux plus grands que le ventre ! ».  A l’autre bout de la table, grand-père, loin de nos jeux d’enfants, s’est déjà levé, vide son verre d’un trait avant de le reposer bruyamment sur l’antique toile cirée aux décors de chasse jaunis et constellés d’étoiles de culs de bouteilles. C’est là le signal du retour aux rangs, la fin du repos des guerriers.

La matinée s’étire sous un ciel zébré de nuages variqueux, les estomacs commencent à gronder, écoeurés de la douceur du raisin, assoiffés de salé. Les plus jeunes désertent peu à peu la vigne, s’échappent du joug parental à la faveur d’une fin de rang, pour courir rejoindre le grand-père  dans la cave et s’attribuer ipso facto le rôle d’effeuilleurs de tonneau, tandis que papa poursuit, les épaules meurtries par la lourde hotte, son incessante noria de la vigne à la cave, où il s’octroie à chaque retour des pauses de plus en plus longues, aidant alors le grand-père, imperturbable, qui  prépare calmement les tonneaux vides, rougis des vendanges passées, les ferme à coup de marteau une fois remplis, s’empare d’une poignée de jonc pour boucher les interstices et les soulève pour les déposer sur le chantier au fond de la cave. Dans les manœuvres les plus ardues, nous sommes fermement priés de déguerpir de leurs jambes et nous courons nous réfugier à droite de l’entrée, dans l’alcôve la plus sombre, vers le grand pressoir encore vide qui ce soir recueillera  les raisins blancs des trois derniers rangs.

Vers midi,  les derniers courageux se rassemblent à l’entrée de la cave. Les femmes ont, depuis longtemps déjà, déserté les rangs pour rejoindre et aider Louise, là haut, dans les derniers préparatifs du déjeuner. Les épaules sont lourdes, les mains endolories, la soif et la faim tenaillent les estomacs et les langues ne songent plus guère aux mots de l’esprit mais aux mets du palais. Là-haut, dans l’étroite pièce à vivre qui se terre, toute recroquevillée, au bout d’un long et massif corps de ferme, la table est déjà dressée. Ca fleure bon la poule au pot, les champignons, les pommes de terre. Un repas qui tient bien au corps. A gauche de l’entrée, jouxtant la porte de la chambre, un vieux poêle à bois ronronne, ce même poêle qui, par une claire journée printanière, avalera notre plus belle trouvaille d’enfant, petit trophée multicolore, embelli par le souvenir, recueilli agonisant, les ailes atrophiées, devant la roue de nos bicyclettes que nous menions, ma sœur et moi, vers la Moutonnière. Petit trésor précieux, lové dans le creux de nos mains, fierté de gamines citadines, « T’as vu comme il est beau notre papillon Mémé », sitôt happé par la grosse Louise et jeté sous nos yeux dans le feu. Déjà loin notre trouvaille, grillée derrière le clapet refermé d’un coup de crochet vigoureux. Au creux de nos mains moites, son souvenir : poudre de couleurs. De quoi briser une enfance.

A l’insu de la maîtresse de maison qui traîne son poids dans l’arrière cuisine, maman a déjà saisi un vieux chiffon et astique, avec le coin le plus propre, les écuelles à soupes poussiéreuses, sous le regard amusé de mon père qui surprend la scène en entrant et la souligne d’un joyeux «  Quand les chats sont partis… ». Les derniers retardataires s’amassent près du poêle. Un bref instant et c’est la vigne toute entière qui impose sa fraîcheur de terroir aux effluves chaudes des fourneaux, comme un puissant choc olfactif et thermique qui réveille en chacun l’étincelle du jeu matinal. Car autour de la table, l’inspiration déborde soudain et s’entrechoque à l’instar des assiettes que l’on remplit d’une soupe claire et fumante, à l’instar des bruits de cuillères qui raclent les derniers vermicelles. Entre deux lampées, on dévoile son jeu, on sort ses atouts  « l’appétit vient en mangeant », «  ventre affamé n’a point d’oreille », «  à bon vin, point d’enseigne »…Les plus mordus affinent leurs stratégies,  solitaires ou tacitement groupées,  pour atteindre avec subtilité l’expression la plus inattendue et la déposer sur la table comme une cerise sur un gâteau. Tout devient prétexte proverbial : la soupière ébréchée, un bâillement prolongé, le souvenir d’une vielle dette, un soupir exagéré, un ventre un peu trop replet, un ancien de sa classe à la fortune douteuse…Au fromage, on apporte les petits chèvres de la Mère Branlard,  la voisine, et on lance les paris sur les asticots. «  Prudence est mère de sûreté », on scrute son morceau avant de l’avaler !

Le grand-père ne dit mot de tout le repas. Il parait absent, réfugié dans sa vigne ou dans sa vieillesse, qui sait ? Nos jeux de mots semblent glisser sans accroche sur sa peau ridée, sans faire jaillir l’étincelle attendue dans ses yeux fatigués. Peu à peu, chacun remarque son air taciturne, on se regarde un peu embarrassé, on fait taire les derniers plaisantins tandis que les assiettes sont retournées, pour manger le dessert, parfois avec la fourchette, au grand dam de maman.

Profitant du remue-ménage autour de la table que l’on dessert pour apporter les tasses à café dépareillées, ma sœur prend la poudre d’escampette pour se rendre aux toilettes. Personne ne voit le manège du grand-père qui se glisse sans bruit sur le siège qui jouxte le sien. A son retour, la petite fille reste un instant interdite devant le grand-père qui la regarde, soudain, avec sévérité et prononce froidement : « …Qui revient, trouve un gros chien. » Un silence gêné suit sa remontrance tandis que s’allume dans ses prunelles usées une lueur d’ironie. Les rires fusent enfin, d’abord discrets puis en cascade de soulagement et de reconnaissance. C’est à mon père que l’on doit le dernier mot de cette journée de moisson, comme le dernier grappillon apporté au tonneau : « A tout seigneur, tout honneur… »

Nous partions souvent les derniers, aux dernières lueurs d’un soleil automnal blafard. Ma mère, à l’avant, serrait entre ses jambes, son vieux bidon à lait tout cabossé…

Version definitive après moult corrections, ajouts et appels à mémoire ! Un grand merci au porteur de hotte et de souvenirs ainsi qu'à tous ceux qui ont déposé leur grappe dans mon grand tonneau de nostalgie.

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