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8 avril 2009 3 08 /04 /avril /2009 23:03

 

 


               Il fait beau et on est samedi. Deux choses si rares ensemble en ces contrées humides du nord de la Loire, surtout en mars. Mais Bashung est mort depuis une semaine et il flotte dans l’air matinal de ce samedi ensoleillé comme un jeu de mots qui sonne faux.

           

             Vous vous préparez pour aller sur le marché, à deux pas, au bout de la rue. Besoin d’une brève escapade, d’un prétexte pour goûter la lumière froide sur votre visage, emmitouflée dans votre cape. Vous mettez de l’eau à frémir pour le riz d’une salade qu’il vous faut préparer pour un dîner commun le soir même et délibérément laissez tourner « Chatterton » en continu dans la maison vide, pour qu’une présence vous accueille à votre retour.

            Dans la rue, vous snobez de votre nonchalance de riveraine le ballet des voitures du samedi qui se garent en double file. Votre panier sous le bras, votre cape mise de travers, les cheveux mouillés, pas maquillée, pas réveillée, peu vous importe. A  l’étal rouge des fruits et légumes, une queue désordonnée, l’étal est long, d’un côté les fruits, de l’autre les légumes, vous ne savez jamais dans quel sens la prendre ni s’il est légitime que vous mélangiez le sucré et le salé dans votre panier selon l’endroit où vous vous trouvez. Vous vous mettez un peu  à l’écart, côté légume, pas pressée, engourdie de sommeil, de soleil, des mots tissés qui ont accompagné votre petit déjeuner et votre départ et que vous savez résonner seuls dans la chaleur de votre maison vide.


            Vous ne remarquez pas que vous perdez votre tour, peut être deux ou trois fois. Vous ne le remarquez pas non plus, jusqu’à ce qu’il vous parle. Allez y, passez devant moi, il va falloir quand même qu’on se décide… vous bredouillez un non, non, allez y…enfin vous ne savez plus, vous bredouillez quoi, c’est vos premiers mots de la journée. Il vous répond, je n’aime pas faire la queue, vous lui souriez, moi non plus, vous êtes liés par ce soleil, cette disponibilité…car oui vous vous souvenez, vous lui dîtes que vous avez toute la matinée devant vous, il vous répond moi aussi. Le vendeur s’adresse enfin à lui qui se tourne vers vous …la galanterie quand même. Vous lui souriez, vite,  et bredouillez au vendeur un concombre et …une botte de radis, qui vous fait envie.  Derrière vous, il répète ah oui une botte de radis, que le vendeur oublie de vous remettre, vous parlez si bas…Vous payez avec un jeu de mots facile sur la note allégée des radis que, elle, vous voulez bien et au moment de partir, vous vous tournez vers lui, lui souhaitant une bonne journée.


            Vous avez oublié son visage, un charme certain, mais déjà vous ne savez plus. Le reconnaîtriez vous en dehors du marché ou si par chance il vous arrivait de le rencontrer à nouveau devant le stand rouge ?  Vous vous éloignez, encline à demeurer un peu sur le marché, mais il y a votre riz qui bout…Alors tout doucement vous rebroussez chemin, comme les héroïnes de Christine Montalbetti dans ses « Nouvelles sur le sentiments amoureux ».


En franchissant la porte de votre cuisine, la voix de Bashung vous accueille :


« …ou un concours de circonstance qu’aurait engendré ce paysage désolé…de n’être pas resté. »


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7 novembre 2008 5 07 /11 /novembre /2008 21:53

                Les cloches sonnent, une note à la fois, mais ce n’est pas ça qui vous ferait tressaillir, vous les entendez de bien plus près parfois, elles ne vous réveillent même plus.

             Les cloches sonnent, mais il y a encore du silence au bout de leur résonance. Vous avez le temps.

             Le temps de sentir le vent qui se lève enfin et qui dépose une poussière sèche dans votre toison noire, le temps de vous asseoir sur la pierre chaude du vieux pont et de passer votre patte humide de salive derrière votre oreille, le temps de voir les derniers rayons d’un soleil qui abdique s’accrocher à vos moustaches et disparaître dans l’eau qui bouillonne en contrebas.

            Plus loin, sur la place, vous passerez, nonchalant, entre des jambes dénudées, nouées, variqueuses,  des pantalons de grosse toiles, grises ou noires, groupés par grappe de deux ou trois paires ; vous éviterez soigneusement le balancier des cannes qui s’interpellent de groupe en groupe, flagellent l’air ou pointent du bout de leur caoutchouc râpé tantôt le sol craquelé, tantôt le ciel d’ardoise, tel une règle en bois devant le tableau noir, servant aux plus jeunes, un bouquet de jeans délavés qui font le pied de grue quelques mètres plus loin sur le parvis, la plus vieille leçon qui soit : celle de la gravité.  Et tient justement, vous glisserez sous un coffret en chêne qui s’élève lui, porté à hauteur de hanche par quatre paires de pompes funèbres, tandis que les cloches s’affoleront enfin. La robe blanche de votre maître s’encadrera devant la lourde porte en chêne qu’il maintiendra légèrement ouverte de la main droite dans son dos. Vous vous faufilerez dans le petit entrebâillement grinçant tandis que vos pupilles se dilateront en deux cercles parfaits dans la pénombre fraîche de la vieille église pour se fixer sur l’osier de la chaise basse placée en épi entre l’ogive de la porte et la première colonne.

            D’un bond, vous vous y loverez, pelote noire, déjà endormie, où s’enrouleront les fils de l’histoire.

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31 octobre 2007 3 31 /10 /octobre /2007 21:59
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La première fois, vous ne l’avez pas fait exprès.

 

Vous étiez tranquillement assise, bien droite sur votre siège, les yeux baissés. Oh, pas en signe d’humilité, non…Un bouquin ouvert planqué sur vos genoux. Un Saumont, pour être plus précise.

 

Ducon TM venait de vous choper. A force de vous héler, se rapprochant de vous,  s’était douté de quelque chose, forcément. Vous aviez reçue l’engueulade du siècle, que ça faisait mauvais genre d’attendre ainsi le client, que ça ternissait l’image de l’enseigne, que vous feriez mieux de prendre un chiffon pour nettoyer votre tapis, que même s’il paraissait propre (vous n’aviez rien dit mais il sait anticiper les arguments, Ducon il ne l’était pas parce qu’un tapis où passe de la bouffe à longueur de journée ne l’est jamais tout à fait. Propre. Vous aviez failli lui rétorquer que puisque le nom de l’auteur était comestible, ça ne pourrait pas tout à fait nuire à l’image de l’enseigne mais vu le regard qu’il vous avait jeté par-dessus ses lunettes d’écaille, vous aviez préféré laisser glisser. Et vous aviez planqué le Saumont sous votre caisse.

 

Le titre, vous vous êtes dit depuis qu’il était sûrement prémonitoire. Ou, pour être plus précise, inversement prémonitoire. Vous avait fait tilt dans les rayons du Culturel en face, parce que c’est vrai que les gosses, c’est pas trop votre truc non plus. Parce qu’aussi un Saumont, faut dire, c’est pratique en caisse, c’est comme des madeleines emballées individuellement : Ca s’emporte partout, ça se grignote très vite, ni vu, ni connu. Une bouchée de mots entre deux caddies.

 

Ducon venait de tourner les talons. Il était content, se frottait les mains, à peine endolories par les mailles du filet qu’il venait de resserrer. Il partait sûrement faire son rapport de flagrant délit de lecture dans le bureau de Superducon.  Vos meilleurs arguments, vous les réserviez pour lui d’ailleurs, avec l’Espace en face, c’était imparable. La meilleure passerelle pour la promotion que vous miroitiez depuis des mois : une place au chaud à la caisse du Culturel. Mais ça vous n’en sauriez jamais rien  parce qu’avec tous ces mômes qui n’en finiraient pas de se perdre au cours des jours qui allaient suivre, et toute la mauvaise publicité que ça allait porter à l’image de l’enseigne, pour le coup, Superducon, il allait avoir autre chose à faire que de venir frayer avec votre Saumont, planqué sous votre caisse.

 

Le gosse, c’est juste après que vous l’avez aperçu. Un môme. Tout petit, trois, quatre ans, tout au plus. Enfin l’âge, vous ne savez pas bien, vous n’avez jamais su donner une fourchette correcte, et d’ailleurs vous vous en foutez, parce que de toute façon quelque soit leur âge, c’est toujours vous qui vous récoltez la galère à la caisse : Ils n’ont même pas d’âge qu’ils braillent déjà dans leur coque en plastique parce qu’évidemment c’est précisément à ce moment là qu’ils se réveillent. Quand ils savent se tenir debout, c’est pour mieux piétiner les entrailles du caddy ; quand ils marchent, c’est pour mieux essayer d’en sortir, et puis finalement du jour où ils parlent,  c’est pour mieux essayer de le remplir, à coup de caprices orchestrés par les rois du marketing adeptes de la gondole de bout de caisse. Bref, une plaie, une calamité. C’est bien simple : avant, vous les préfériez chez les autres, maintenant, ce sont les autres que vous préférez. Les comme vous quoi, les ceux qu’en ont pas et qui vous les collent pas dans les pattes,  surtout. Les ceux qu’en parlent pas non plus, parce que, entre les collègues qui vous imposent les prouesses ou les conneries de leurs progénitures à longueur de codes barres qui bipent, les clients qui s’extasient devant de belles frimousses entre aperçues deux caisses plus loin ou, pire, les ceux qui blâment le laxisme des parents d’aujourd’hui, ça réduit considérablement la tranche de population épargnée par le fléau.

 

Le gosse, ce gosse là, il était tout petit mais il savait marcher puisqu’il trottinait vers vous et il savait causer puisqu’il couinait « maman » avec de la morve au nez. Ca non plus vous n’aimez pas tellement, avec toute la bouffe qui passe… Avec votre tapis tout propre surtout, et le chiffon que vous veniez tout juste de ranger, sitôt Ducon disparu. Vous auriez pu appeler la caisse centrale, vous auriez du appeler la caisse centrale. Mais vous aviez le Saumont qui frétillait sur vos genoux, un morceau coincé dans la gorge, et plus que deux pages pour le faire passer.

 

Vous vous êtes donc fier à votre instinct. De caissière. Belle alliance de rapidité et d’efficacité. Eliminant les trop jeunes, les trop vieux, ainsi que les nonchalants en arrêt depuis cinq minutes devant le rayon chocolat, il ne vous restait plus, dans votre champ de vision réduit à la périphérie de votre caisse, périphérie elle-même sérieusement grignotée par les têtes de gondoles, qu’une tâche verte émeraude fugace, qui, vous avait-elle semblé, venait de piquer un sprint affolé dans le rayon surgelé. Maigre piste, soit, mais ça se tenait. Alors, d’un geste ferme et sans ambiguïté, vous aviez pointé votre doigt en direction  de ce bout de tâche-là, accompagné d’un de vos plus minaudants « l’est là bas ta maman ». Le gosse n’avais alors pas demandé son reste et s’était sauvé vers les surgelés.

 

Sauf que cinq minutes plus tard, vous aviez vu débouler à votre caisse la femme au manteau vert, qui se dépêchait pour ne surtout  pas rompre la chaîne du froid et qu’elle avait oublié son sac isotherme dans le coffre de la voiture de son mari qui lui fait ses courses tout les jeudis midis mais qui peut pas lui prendre les surgelés parce qu’il retourne bosser après et c’est dommage. Le tout annoné tandis que la caisse centrale annonçait d’une voix langoureuse, un brin accusatrice, que « la maman du petit Mathéo, quatre ans (le compas dans l’œil pour une fois) et vêtu d’un blouson bleu, est attendu par son petit Mathéo à la caisse centrale, je répète. » Et bien sûr le petit morveux au blouson bleu ne suivait pas le manteau vert.

 

La première fois, vous ne l’avez pas fait exprès, donc. Mais comme cette fois-là, le petit morveux était finalement repassé à votre caisse, le visage niché dans les hanches de sa mère, tout penaud, tout tranquillou, les fois d’après, vous ne vous étiez pas gênée. Avec un geste ferme en direction de la première silhouette féminine en esquive au coin d’un rayon, vous les laissiez s’égarer, vous les faisiez se perdre. Au nom de votre tranquillité et de celle de vos collègues. Un peu de marche à pied, une pointe d’adrénaline, et ça les mâtait pour le passage en caisse.

 

Mais bizarrement -  et ça vous tracassait quand même-  ça arrivait de plus en plus souvent. Qu’un gosse se perde.  Et toujours à votre caisse. Presque sous vos yeux. Ca a finit par se savoir, forcément,  et ça jasait sérieux dans les rayons. De caddies en caddies, la rumeur, très vite, s’est répandue en ville : Le supermarché du coin laissait s’égarer les gamins.

 

Ce qui, fatalement,  porta un sale coup à l’image de l’enseigne, une bien mauvaise publicité dont Ducon se serait bien passé. Les mères de famille, suspicieuses,  n’amenaient plus leurs bambins et donc achetaient moins. Le magasin de bonbons de la galerie vit fondre son chiffre d’affaire en l’espace de quelques semaines seulement. Les réglisses viraient au poivre et sel, les fraises Tagada pourrissaient. Ducon était préoccupé, très préoccupé, présent, très présent. Et du coup le Saumont pourrissait sous votre caisse. Plus moyen d’en ouvrir une page à la dérobée.

 

 

Depuis longtemps déjà, vous aviez cessé votre petit jeu malsain, consciente que ça n’arrangeait pas trop vos affaires, tout ça, finalement. Aussi, quand les mômes s’échouaient à votre caisse, c’était directe la Caisse Centrale.

 

Mais le pli était pris. Les gosses, inexorablement, continuaient de disparaître, de plus en plus nombreux, de plus en plus souvent. Ce qu’il leur arrivait entre le moment où ils se perdaient et celui où ils réapparaissaient, on l’ignorait. Nul n’en su jamais rien, pas même les gosses, c’était à se demander. Les mères essayaient en vain d’interroger les plus grands, les ceux qui savent parler, argumenter, raconter par le menu détail. Rien, pas un seul souvenir, pas un seul relief ne se détachait de cet interlude mystérieux. Il y avait dans ce retour là, comme après un réveil brutal, une palette de sentiments tout en contraste : de la panique à l’indifférence. En fonction de l’âge et des caractères. Oui,  les gosses inexorablement continuaient de disparaître, mais de moins en moins longtemps, toutefois. Ils finissaient toujours par réapparaître. Et toujours à votre caisse. Ce qui très vite vous permis de vous tailler une solide réputation dans votre ville : celle de rapporteuse de gamins. Réputation légèrement ternie toutefois le jour on l’on cru identifier l’une des causes possibles du fléau : Le rayon DVD, tout au bout de  votre caisse, et la télé qui diffusait le dernier Pixar, aimantant derechef le regard des enfants, tandis que s’éloignait, indifférent, impitoyable, le caddie des parents.

 

 

Mais le mal était fait et l’enseigne bien ternie. Ducon redoutait le siège éjectable et parcourait à présent à longueur de journée les rayons de son supermarché, quasi déserté, lesté seulement par quelques vieux, bien contents d’y retrouver la tranquillité des petits commerces d’antan. Jusqu’à ce jour où son œil vitreux vous surprit en pleine conversation avec l’un d’entre eux (fallait bien s’occuper à présent que vous ne pouviez plus vous jeter sur votre Saumont),  affirmant de concert que de toute façon un supermarché, c’était franchement pas un lieu pour les gosses.

 

Il vous a fusillé du regard.

 

Mais le lundi suivant, des ouvriers investissaient le local déserté de ses bonbons. Huit jours plus tard, une halte-garderie flambant neuve s’y dressait en lieu et place. Et comme votre réputation de sauveuse vous collait décidément à la peau et que vous aviez un vieux B.A.F.A. qui traînait tout au fond de votre C.V., c’est vous qui vous y êtes collée.

             

Depuis ce jour là, vous ne lisez plus. Plus du tout. Plus le temps. Ils vous ont bien organisé un coin lecture avec coussins, bacs colorés et tout et tout…Mais, entre la pouponnière qui braille, la télé qui s’égosille et la Playstation qui soliloque de sa voix de robot, avouez, ça ne laisse pas beaucoup de place pour les mots et l’imagination.  

 

Le Saumont, z’auriez peut être du en choisir un autre finalement…. 

 

« Les voilà, quel bonheur ! »

 

 


 

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7 octobre 2007 7 07 /10 /octobre /2007 23:04
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                    La première fois que je l’ai rencontrée, j’avais quinze ans à peine. Ah ! Le bel âge, bien plus désinvolte qu’aujourd’hui.  Rien dans la tête, tout dans les gambettes.

 

            A l’époque, j’étais lycéenne à Nantes et logeais la semaine dans une chambre de bonne sous les toits, chez un ami de mes parents, Monsieur Victor, qui était censé me servir de chaperon. Mais sous ses airs de bourgeois distingué -  ce petit air de notable qui rassurait mes parents- je peux vous dire (il y a prescription et mes parents sont de toutes façons au courant depuis de nombreuses lurettes) que Monsieur Victor était loin, en réalité,  d’être l’homme de la situation. Courtisé (il n’y a pas d’autre terme) par la moitié de la ville, il organisait presque chaque soir des fêtes mémorables, qui bien souvent duraient jusqu’au petit matin. Comme les amis de Monsieur étaient de joyeux lurons et que (c’est bien connu !) les bruits montent, je parvenais difficilement certaines nuits à trouver le sommeil. Aussi, bien souvent, c’est en très bonne compagnie que je finissais par coucher mes plus belles insomnies.

 

            Un soir, cependant, lasse de me mêler à ces hommes de nuit, j’ai décidé de leur filer compagnie. Le soir glissait sous les toits, bleus et gris ombres de silence, quand j’ai franchi le porche de la maison de Monsieur Victor. Je me suis enfoncée  au cœur de la nuit dans les rues de Nantes, drôle d’émoi, drôle de mouvance, mais au bout de quelques heures de délicieuses errances,  je dus vite me rendre à l’évidence : j’étais perdue. Perdue à Nantes, moi pauvre petite provinciale, et ce dans un quartier fort éloigné du centre ville, complètement désert à cette heure avancée de la nuit. C’est à ce moment là, à ce moment précis qu’elle est entrée dans ma vie, pour ne plus jamais en sortir.

 

            Seule, désemparée, à la recherche du moindre indice susceptible de guider mes pas dans la nuit épaisse, j’étais en train de déchiffrer l’inscription semi effacée d’une petite plaque bleue de rue quand le son de sa voix parvint jusqu’à mes oreilles. Cela se passait Rue de la Grange au Loup, je m’en souviens…, je l’ai  gravé  dans ma mémoire. Depuis une fenêtre entr’ouverte, au numéro 25, s’échappaient des notes de musique aux ailes de papillons de nuit. Doucement, sans faire de bruit, je me suis approchée. Une femme jouait du piano, une longue dame brune, de dos. Elle jouait et elle chantait une chanson de trois fois rien. Ca faisait :

 

 Si mi la ré si mi la ré si sol do fa si mi la ré si mi la ré si sol do fa. ..

 

Les notes coulaient facile, heureuses au bout de ses doigts. Elle chantait du bout des lèvres, ses silences étaient des fleurs et son rire un pigeon qui s’envole.

 

            Elle s’est finalement retournée, sentant mon regard sur sa nuque. Elle m’a souri puis est venu m’accueillir à sa porte. Elle m’a immédiatement interrogé sur ma présence tardive dans ce quartier perdu puis elle s’est proposée aussitôt de me raccompagner à pied chez mon protecteur négligent. Tandis que nous marchions silencieuses, elle en ses rêves, moi, osant à peine respirer, intimidée par cette femme mystérieuse, tantôt légère, aérienne et tantôt grave, l’aube blême s’était levée.  Et avec elle mon courage, le courage de lui demander : cette cantate que tu chantais tout à l’heure, chante,  chante la pour moi…

 

            Alors elle se mit à chanter, à chanter juste pour moi …

 

A chanter sa joie de vivre  si mi la ré si mi la ré si sol do fa si mi la ré si mi la ré si sol do fa  mais aussi son mal de vivre, son cœur bien trop souvent égratigné…puis, tandis que nous nous approchions de la maison de mon hôte et que nous croisions ses convives par petites grappes bruyantes et éméchées qui le quittaient au petit matin,  elle improvisa une chanson sur les amis de Monsieur.

 

            Elle est finalement repartie, mutine,  au bras de l’un d’eux, me faisant un petit signe de sa longue main de pianiste tandis que je lui murmurais, tout bas, presque pour moi …Dis quand reviendras-tu ?

 

            Depuis, j’ai refait plus d’une fois mes bagages mais ses papillons de nuit furent toujours du voyage.

 

            Bien des années plus tard, je l’ai revu. Une fois, juste une fois.

 

 

            Ce fut  un soir en septembre...




            Suite à la proposition de Thom, ma petite Pierre à l'hommage qui sera bientôt rendu à Barbara à l'occasion du dizième anniversaire de sa mort, et en attendant le texte d'une autre admiratrice de La Longue Dame Brune...
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      photos : Marcel Imsand
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1 avril 2007 7 01 /04 /avril /2007 23:47










Il n’a pas bougé depuis le matin, depuis que vous l’avez quitté sans réponse à votre « à tout à l’heure » lancé tandis que vous refermiez la porte derrière vous.

 

Il est un peu plus de treize heures et sur votre semaine de travail terminée s’ouvre la perspective d’un week-end morose et tendu, comme tous ceux qui l’ont précédé depuis quelques mois.

 

Il n’a pas bougé depuis le matin, l’œil rivé à l’écran tressautant de son ordinateur portable posé comme un intrus sur la vieille table en chêne de la salle à manger.

 

Il n’a pas bougé et ne tourne pas d’avantage la tête à votre irruption dans la pièce.

 

Vous soupirez, résignée, déjà, à devoir attendre de lui un geste tendre, déterminée (vous vous en êtes fait la promesse, les mains crispées sur votre volant, tout au long du trajet) à ne pas le brusquer, ni le contredire, à ne rien faire ni amorcer l’ombre d’une discussion susceptible de faire bouillonner en lui la colère et en vous cet étrange venin teinté de ressentiment et de culpabilité que vous trimballez partout et en silence depuis quelques mois.

 

Vous soupirez et déposez votre panier de course près de la porte d’entrée. Le bruit de l’osier sur les tomettes le tire enfin de sa torpeur, comme si toute respiration inhabituelle de la maison lui était plus perceptible que votre propre souffle. Il lève la tête vers vous, les yeux encore empreints du défilement brumeux de ses voyages virtuels, comme un voyageur absorbé par le paysage qui s’effiloche derrière la vitre d’un train, d’où parfois surgit dans la nuit d’un tunnel toujours trop long le spectre d’un visage qu’il s’efforce de ne pas fixer, qu’il préfère ne pas reconnaître, lui qui évite les miroirs, comme un voyageur, donc, absent, indifférent et pressé d’en finir avec le contrôleur qui l’extirpe sans ménagement de sa plongée du néant, de sa fugue hors du temps.

 

Vous avez derrière vous, déjà, une longue carrière de contrôleur ; Débutante, sans diplôme, vous étiez timide, rappelez-vous, timide et bienveillante, prompte à passer votre chemin sans déranger le voyageur plongé, vous semblait-il alors, dans de fructueuses réflexions. Puis, aguerrie par l’expérience et le manque de reconnaissance dudit voyageur envers votre clémence, vous avez imperceptiblement changé votre fusil d’épaule pour le braquer sur les siennes, affaissée, avachies, et qui finalement ne daignaient répondre à vos questions insistantes que par un haussement méprisant. A ce petit jeu, le fusil finit par peser lourd sur vos épaules, il est chargé à blanc et le voyageur le sait aussi, allez, tout comme il sait que vous êtes seule et que vous n’aurez jamais le cran de le prendre par ses épaules avachies pour le jetez dehors à la prochaine station. Il le sait et il en joue, il se joue de vos nerfs en opposant un silence à vos sempiternelles questions. Vous le mettez en joue et il s’empresse, habilement, de retourner le canon contre vous : vous ne pouvez pas comprendre, vous ne pouvez plus comprendre …. Un fossé vous sépare, celui de la ville où vous vous rendez chaque jour pour travailler et celui de la campagne où il se terre pour chercher par tous les moyens, dit-il, le moyen d’en échapper, le moyen de s’échapper de cet ennui, de cet inutilité, de ce brassage d’ idées ; un fossé qui sépare le bruit de vos journées de femme active au silence de ses journées d’homme au foyer à la recherche d’un emploi ; un fossé qui chaque jour se creuse d’autant plus que de chaque côté les strates de sédiments s’amoncellent : non-dits, ressentiment, rancœur, doute, jalousie, colère, dépit, culpabilité…

 

A ce petit jeu, le fusil finit par peser lourd sur vos épaules, et depuis longtemps déjà, vous en avez abaissé le canon vers le sol, ne sachant plus très bien contre qui le braquer. Il lève la tête vers vous et vous passez votre chemin, contrôleur démissionnaire jusqu’à la perception de votre attitude par le voyageur : soumission ou dédain, le savez-vous, vous-même ?

 

Il lève les yeux vers vous tandis que vous passez devant lui après avoir repris votre panier pour vous rendre dans la cuisine, il lève les yeux vers vous et vous ne relevez même pas l’interrogation que vous pouvez y lire, à savoir la surprise non feinte qu’il manifeste devant votre retour inopiné, un midi, un jour ouvré, quand jadis (il n’y a pas si longtemps en fait, vous en perdez la notion du temps) il n’aurait jamais oublié que votre semaine s’achevait le vendredi midi, quand jadis il aurait profité de son statut de cadre pour modeler sa semaine à l’image de la votre, quand jadis son « déjà là » froid et distant piétinait devant la porte en attendant votre arrivée, saluée d’un yaouh de bienvenue.

 

Vous posez votre panier sur le sol en ciment de la cuisine. Les travaux de la fermette de vos rêves sont à l’image de votre couple : en suspens. Et des rongeurs gris en grignotent le cœur. Les restes d’un repas bâclé parsèment le plan de travail. Il ne vous a pas attendu, une fois de plus, et vous ne chercherez même plus aujourd’hui à le provoquer pour lui soutirer des excuses qui au fil des semaines ont perdu de leur sincérité. De toutes façons, vous n’avez plus faim, plus faim de lui, plus faim de rien. Vous ne partager plus que l’alcool, les cigarettes et le café, vous ne partagez plus que ce qui vous éloigne l’un de l’autre, au travers d’un écran d’ivresse, de fumée et d’amertume.

 

Vous lui proposez un café et sa réponse, depuis la salle à manger, semble le prolongement du ronronnement de son ordinateur. La cafetière Cona de vos antiques pauses café d’amoureux vous nargue de sa poussière. Celle d’un temps révolu où vos deux regards soudés ne perdaient pas une goutte de la lente alchimie brune qui s’écoulait au travers de deux boules de cristal. Vous lui préférez à présent sa cousine électrique, efficace et bruyante, comme un écran, à nouveau, au silence pesant.

 

Et tandis qu’un breuvage noir trop corsé tombe avec lourdeur au fond du récipient en verre, tandis que son puissant parfum vous retourne l’estomac, vous entreprenez de ranger votre panier de courses. Tout au fond traîne ce que vous lui réclamez à corps et à cris depuis des semaines (mais qu’importe les doléances matérielles quand celles du cœur restent muettes) : une petite boite en carton, couleurs criardes – rouge, vert, jaune -, dessin naïf : une grosse souris et un petit mulot, les pattes recroquevillées à hauteur de museau ;  Cette nouvelle formule contient du Bitrex ® un additif très amer destiné à réduire le risque d’absorption accidentelle par l’homme…Les souris meurent au bout de cinq ou six jours.

 

Vous risquez un rapide coup d’œil dans la salle à manger ; il n’a pas bougé.

 

Et pourquoi pas ?

 

Un additif amer dans un café amer…Une petite brûlure d’estomac contre toutes ses méprisantes flammèches, un petit secret ironique contre tout ce qu’il doit vous cacher, peut être…

 

Les souris meurent au bout de cinq ou six jours…

 

Et les hommes ?




Un vieux texte pour lequel j'ai une tendresse toute particulière...Remis au goût du jour...
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29 mars 2007 4 29 /03 /mars /2007 23:05








 

Vous avez, cette fois, mis au point une stratégie infaillible, repéré la formule alphanumérique à mémoriser jusqu’à votre sortie, calculé les points d’abscisse et de coordonnée à partir de repères visuels facilement identifiables et cette fois-ci immuables (toujours préférer l’angle formé par, mettons, le Norauto et le Mac do, à la proximité, somme toute précaire, d’un coupé cabriolet rouge bordeaux), sans négliger ce qui, pour le premier quidam venu semble plutôt superflu (il faut le voir foncer tête basse et visage fermé) mais qui est loin de l’être pour votre cas personnel (rappelez-vous la dernière fois) : la reconnaissance mentale de la porte ; la petite à droite (à droite de quoi d’ailleurs ? ) ou  la plus grande juste en face de vous ? Surtout ne pas perdre son temps en considérations diverses sur les portes automatiques (toutes les entrées en sont pourvues) mais privilégier les champs latéraux, mettons la pharmacie à gauche et le petit chinois (ah son porc au caramel ! tiens ça fait longtemps…) à droite. Ne pas oublier de visualiser le contraire pour le retour.

 

Aussi, dotée de votre fil d’Ariane incassable, vous vous dirigez, l’esprit soulagé, vers ladite porte, non sans avoir au préalable fait un détour par l’auvent en plastique devant lequel vous perdrez bien encore cinq bonnes minutes à rechercher au fond de votre sac (et jamais dans la même pochette, notez) vos clés de voiture (que vous venez, rappelez-vous, si soulagée, de jeter, justement vous ne savez plus où) et au bout desquelles (car ce ne sont pas vos clés en soi qui sont l’objet de votre recherche nerveuse) est accroché votre jeton de caddie (qu’il n’y a pas si longtemps, vous remisiez dans le vide poche avant de votre voiture- ce qui vous faisait perdre encore plus de temps - d’où l’automatisme du « rangement »  des dites clés au fond de votre sac qui perdure ;  on ne s’adapte pas si facilement à une adaptation de poste).

 

Aussi, disais-je, dotée de votre fil d’Ariane incassable, et précédé de votre caddie, dont vous aurez au préalable (rappelez-vous la dernière fois) vérifié qu’il roulait droit (discrètement, le tour du parking ne s’impose pas), vous vous dirigez, l’esprit soulagé vers ladite porte, en froissant dans le creux de la main votre liste de course. Si celle-ci est rarement gribouillée de prose, vous l’espérez tout au mieux vierge de fautes d’orthographe, à défaut d’être réellement efficace. Car, avant même de franchir ladite porte, et ce malgré un respect scrupuleux des règles du jeu, vous savez d’ores et déjà (malgré une volonté farouche et toujours renouvelée) qu’il vous sera très difficile de suivre à la lettre un tel cahier des charges. Pour la bonne et simple raison qu’aucune règle ne peut s’appliquer à un jeu de piste en perpétuel remaniement et truffé de pièges visuels et sonores. Les concepteurs de ce jeu, communément appelés distributeurs, en changent la donne à chaque saison. Ils dessinent en comités de direction diurnes de nouveaux labyrinthes -appelés communément plans d‘occupation des sols - que leurs petits lutins aux gilets de couleurs s’empressent de réaliser, ni vu ni connu, la nuit, pour mieux piéger les joueurs au petit matin.

 

Oui, sitôt la porte franchie, dites-vous bien que vous ne tiendrez plus tout à fait les rênes dans ce grand labyrinthe et que votre micro liste de courses, toute recroquevillée dans votre paume moite, presque un poids déjà, celui de votre bonne conscience sur laquelle régulièrement vous devrez faire l’effort de baisser humblement les yeux, que votre liste de courses, disais-je, ne vous sera plus d’un très grand secours face à la valse des rayons, aux gondoles qui vous happent le regard et aux voix onctueuses qui enveloppent vos pensées – et surtout vos bonnes résolutions- d’un doux voile de tentation. Ce qui fait qu’au bout d’un moment, vous oublierez les tenants – pas toujours tenus – et les aboutissants – souvent au détriment des tenants – de ladite liste que vous vous étiez pourtant appliquée à rédiger avec un respect scrupuleux des règles du jeu, disais-je plus tôt, vous savez, celui des Sept Familles – dans la Famille Laitage, je voudrais le beurre, juste le beurre, j’ai déjà les yaourts, dans la Famille Boisson, je demande le pack d’eau, etc. Mais les règles de ce jeu ancestral ne font pas le poids face à l’ingéniosité de ces concepteurs qui passent leur temps à brouiller les pistes, en gribouillant de nouveaux croquis sur le papier tout en prenant grand soin de ne pas toucher à, vous savez, la petite zone à gauche, communément appelée la marge. Aussi, vous gagnerez du temps, la prochaine fois, à ne plus vous munir des règles de ce jeu désuet, puisqu ‘à coup sûr elles finiront en boulette de papier au fond du caddie.

 

En attendant, votre caddie devient ventripotent,  et c’est heureux que vous ne soyez pas encore conquise par les jeux virtuels que ces concepteurs viennent de développer dans un labyrinthe encore plus mouvant, communément appelé le Net, car son gros ventre, soudain, bien palpable, bien tangible, vous ramène à la réalité – vous savez, quand les petites roues qui pourtant roulaient bien droit (vous en aviez fait le contrôle technique à vide, souvenez-vous, discrètement), semblent soudain marcher en canard, se font subitement plus lourdes, moins dociles – et vous rappelle derechef à l’ordre par un contre-braquage décidé en direction… des caisses.

 

C’est là que les choses se corsent, ou plutôt, si vous me permettez une légère torsion d’expression, c’est là que les choses se tordent ; car il s’agit bien là d’un nœud qui vient soudain entraver les longues déambulations aléatoires qui régissaient jusqu’alors votre caddie (et par extension votre cerveau, moteur du premier… quoique) depuis que vous aviez franchie ladite porte.

 

(A savoir que le temps imparti à ces déambulations aléatoires est inversement proportionnel au nombre de personne entourant le caddie, ou, pour être plus explicite, comprenez qu’un homme, ou mieux, un, voire des enfants, permettent de raccourcir considérablement ce temps de latence, en vous rappelant à l’ordre bien plus tôt, ce qui ne garantit pas pour autant un caddie moins ventripotent)

 

Oui, un nœud, dont les concepteurs ludiques, eux-mêmes,  ont bien conscience, puisqu’ils tentent, par tous les moyens, de le lisser : « dénoueurs » s’adaptant avec flexibilité au nombre variable de nœuds nœuds, éclairage tamisé, ou petites présentations de confiseries qui offrent le double avantage d’occuper les mâchoires tout en passant inaperçues dans les entrailles du gros ventre. 

 

En attendant qu’ils y parviennent complètement, à le lisser s’entend, ce nœud pour vous reste un nœud. Ce n’est pas tant le temps d’attente crée par ces embouteillages (ou congestions comme disent les canadiens qui appellent un chat un chat) qui subitement vous noue le corps et l’esprit (ou vous hérisse le poil, diraient les canadiens). Non, à condition d’avoir du temps devant soi, (ce qui est le cas pour vous, ce jour là, sinon vous n’auriez pas - ne soyez pas de mauvaise foi - perdu autant de temps en déambulations aléatoires), vous vous prêtez généralement de bonne foi (cette fois) aux impondérables que ne manquent pas d’entraîner ces rétrécissements de voies; vous prenez allégrement (peut être pas quand même, disons docilement) votre place dans le trafic, les mains ou les avant bras négligemment posés sur le cylindre collant de votre caddie, prête à effectuer en pilotage automatique les manœuvres en vigueur en ces lieux : s’accrocher à la chenille devant vous, s’en serrer le plus près possible, suivre le mouvement, accepter tacitement de se laisser légèrement pousser le sac ou le dos par la chenille qui vous suit (quoique à forte dose, cela peut parfois irriter, vous en convenez), sans oublier de céder le passage à celles qui viennent de votre droite (ou de votre gauche, c’est un code de la route adapté) espérant en se mouvant ainsi horizontalement rejoindre des congestions moins congestionnées (Ca aussi à forte dose…). Ce n’est pas tant ce temps d’attente, propice à poursuivre votre rêverie ou à vous inventer des microfictions en regardant les caddies de vos congénères ou en les écoutant parler, ni la prise de conscience de votre caddie ventripotent (vous avez une propension à la rêverie, soit, mais savez également garder les pieds sur terre tout en assumant vos achats compulsifs, ou pour mieux dire vous ne tomber pas des nues une fois le nœud atteint) que tout ce qui va suivre qui vous noue ainsi par anticipation. Car il faut bien avouer que si la rêverie est votre fort, la logistique l’est nettement moins. Et dans cette situation, comment allier vitesse et efficacité quand autant d’actions exigent de votre part une quasi simultanéité ? Savoir où se positionner entre le caddie et le tapis roulant (ou en d’autres termes, préparer l’ergonomie de son poste de travail), déposer les entrailles de votre caddie sur le tapis roulant en étant la plus rationnelle possible (car il faut bien penser que sous peu il faudra tout remettre dans votre engin à quatre roues, donc autant profiter de ces manipulations pour y glisser en tant soi peu d’organisation), sortir la carte de fidélité, les tickets restaurant et la carte bleue (pas trop tôt, car vous n’avez que deux mains mais pas trop tard car vous risquez de froisser « l’hôtesse de caisse » par un battement inutile dans votre plan PERT), s’assurer que vous vous êtes bien munie des sacs conventionnés (et en nombre suffisant) –l’un des préalables que vous avez bien trop souvent omis par le passé mais qui fait désormais partie de votre check-list pour éviter tous frais supplémentaires, et tous sacs supplémentaires susceptibles d’être oubliés les fois suivantes- , les ouvrir et en garnir le fond de votre caddie (vide à présent), rattraper la vitesse de croisière de « l’ hôtesse de caisse »  qui a déjà une longueur d’avance sur vous et qui bientôt vous annoncera la douloureuse alors que vous n’aurez encore rien rangé, savoir où glisser la carte bleue et enfin en taper le code (s’en souvenir) tout en jetant en vrac dans les sacs ouverts tout ce qui reste encore en bout de caisse (et tant pis pour l’organisation).

 

Un nœud. Un noeud qui à chaque fois vous laisse à bout de souffle, juste le souffle nécessaire pour murmurer un merci et bonne fin de journée à l’hôtesse (z’êtes polie tout de même).

 

Un nœud qui soudain vient interrompre le fil de vos pensées, un nœud que vous vous êtes tellement appliqué à dénouer que vous vous apercevez soudain que,  sous le coup de tant d’émotion (et de tant d’efforts cérébraux et physiques),  vous avez du lâcher votre fil d’Ariane.

 

Vous sortez d’un long bain de mer où vous vous êtes laissée ballottée doucement par le courant, puis vous avez du batailler sévère avec les vagues pour vous en extirper, et vous voilà enfin sur la plage, celle-la même que vous fouliez tout à l’heure. Mais, en êtes-vous si sûre ? Vos traces de pas ont disparu, emporté par les flots que déversent les vagues, et pour ce qui est de retrouver  votre serviette, ça va être coton, sans votre fil. S’il est plus que probable que vous retrouviez la bonne sortie du premier coup cette fois, (c’est votre estomac qu’il faut remercier, rappelez-vous le petit chinois), (le procédé mnémotechnique du porc au caramel est infaillible, il faudra vous en souvenir), la situation semble nettement moins bien engagée sur le parking. Je vous rassure, le Norauto et le Mac Do n’ont pas pour autant pris la poudre d’escampette pendant que vous participiez au grand Jeu à l’intérieur, mais l’angle imparable qu’il formait avec votre voiture, si.  Et c’est l’âme en peine et les poignets crispés que vous reconnaissez aussitôt la faille de votre stratégie. Infaillible, soit, mais pour un mathématicien, géomètre de préférence. Bon, vous n’avez pas le compas dans l’œil ni le sens de la perspective, il faudra vous en souvenir pour la prochaine fois. Mais ce qui vous préoccupe surtout, c’est que vous n’avez pas non plus la mémoire des chiffres : A6 ou 7, voilà tout le problème.

 

Et tandis que vous vous mettez en route, au petit bonheur la chance, à la recherche de votre voiture grise (passe-partout), les épaules voûtées, l’air faussement désinvolte ( pour ne pas accréditer, surtout,  la légende urbaine du fameux sens de l’orientation féminin), vous maudissez en votre for intérieur (où dans ces moments là, il est toujours plus sain de ne pas s’auto flageller mais de chercher un bouc émissaire) le manque d’imagination récurent de ces promoteurs urbains incapables de glisser un tant soit peu de poésie dans ce monde d’asphalte – poésie qui se serait assurément mieux coulée dans les flux de votre mémoire qu’une formule de bataille navale.

 

Et quand soudain, après avoir bien vérifié que votre caddie ne roulait finalement pas si droit une fois rempli, vous apercevez enfin l’objet de votre recherche (ne vous trouvez pas d’excuses, elle n’a pas bougé, c’est évident, vous voyez bien l’angle à présent), vous jurez, mais un peu tard, qu’on ne vous y prendrait plus.

 

La prochaine fois, c’est décidé, vous noterez le numéro de l’allée sur votre liste de course. La prochaine fois, c’est sûr, votre stratégie sera infaillible.


A moins d’une boulette…

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24 mars 2007 6 24 /03 /mars /2007 23:49










 

Mmmm cette nouvelle année commençait bien.

 

5 janvier et  elle était déjà là à se morfondre devant sa théière à l’idée de ce rendez-vous dont elle était pourtant l’instigatrice.  Envolées ses bonnes résolutions d’assurance, d’optimisme et de confiance en soi qui au soir du 31 décembre n’avaient admis aucune clause dérogatoire.

La journée avait pourtant fort bien commencé. Elle s’était éveillée en sifflotant l’un de ses airs favoris du moment. Une chanson de Camille passait à la radio et la douce folie poétique de sa voix s’était peu à peu emmêlée à ses pensées somnolentes : «  Hé  petite fille ! Tu bois de l’eau et tu es saoule. Là où tu te noies tu as beau avoir pied tu coules au port, au port… » Mais bien sûr, la chanson fut coupée avant la fin pour mieux permettre au chroniqueur de reprendre la longue litanie des disfonctionnements de notre société : le froid qui tue les sans-abri, la faim qui tenaille les estomacs, l’essor du chômage et de la pauvreté qui côtoient par le hasard des transitions médiatiques les luttes pour le pouvoir de nos responsables politiques et le déboulonnage de leur intégrité quand éclatent au grand jour leurs malversations crapuleuses. Suivant à la lettre les conseils d’égoïsme d’une amie, elle fit aussitôt taire le brouhaha radiophonique pour prolonger en silence quelque rêve éveillé, le froissement de la couette en fond sonore.

Au sortir de sa chambre, elle prit soin d’éviter dans l’embrasure de la porte les épinettes du sapin enguirlandé qui commençait sérieusement à se défraîchir.

Douchée, habillée en un tournemain, sur le petit air vivifiant qui trottait toujours dans sa tête, elle dédaigna ses nouvelles bottes au profit d’une vielle paire de chaussures plus confortable. Qu’elle idée aussi de les avoir achetées avec de si hauts talons ! Elle n’oserait jamais mettre ça pour aller au travail, elle qui aimait tant se mouvoir dans la discrétion.  Elle réveilla son fils en douceur et gagna la cuisine où l’attendait sur la table la promesse d’un petit déjeuner préparé la veille au soir. Encore une belle résolution de femme organisée, de mère parfaite, qui  ne ferait certainement pas long feu !

Son fils babillait et chantonnait à ses côtés tandis qu’elle jeta un vague coup d’œil à son tout nouveau calendrier qui trônait au dessus de la table, déjà émaillé par ci par là de sa plus belle écriture. (Pour combien de temps !)

 

 Jeudi 5 : 17h00 Rdv Fabien D.

 

Fabien ...Elle n’avait pas songé à lui une seule seconde pendant la trêve des confiseurs, tout à la joie de fêter  Noël cette année avec son fils, et soulagée que leurs relations conflictuelles mère enfant se soient enfin apaisées.  

Fabien…Elle l’avait  évincé de sa vie fin novembre dans un brusque accès de colère. A quoi bon ? Le suivi psychologique qu’elle avait entrepris avec lui depuis plus d’un an maintenant pour tenter de comprendre le comportement actif et impulsif  de son fils n’aboutissait à rien. Séance après séance, le jeune psychologue les accueillait presque froidement, posait deux, trois questions de routine sur les derniers événements qui avaient ponctué la vie de l’enfant, l’observait calmement, souriait à ses paroles avisées et s’étonnait de  son vocabulaire si riche. Puis il demandait à rester quelques minutes seul à seul avec son fils, tandis qu’elle retournait dans la salle d’attente, attentive à la voix rauque de l’une des femmes de ménage qui oeuvraient à cette heure tardive dans les locaux du Centre Social situé un étage plus bas. Elle percevait au loin la voix aigue de son enfant temporisée par celle, apaisante, de son compagnon de jeu improvisé. La porte grinçait soudain, des petits pas trottinaient, son fils venait à elle, tout sourire, lui prendre la main pour la ramener vers le cabinet. Puis, ils repartaient, un petit carton à la main, vers d’autres conflits, jusqu’au prochain rendez-vous. Séance après séance, elle s’était sentie de plus en plus isolée, écartée de ce couple qui fonctionnait à merveille. Son fils s’apaisait au contact de cet homme qui ne voyait pas, lui semblait-elle, sa détresse croissante. Son malaise s’était peu à peu mué en colère, et un beau jour, elle avait pris une décision tranchante : Elle s’était adressée à son secrétariat pour annuler la prochaine consultation et mettre fin à cette mascarade de soutien psychologique, qui ne pouvait que desservir l’avenir de son fils. Il l’avait rappelé, peu de temps après, la laissant libre de ses choix, lui signifiant toutefois, en bon professionnel, que sa porte restait ouverte.

 

Elle s’était alors adressée à un autre psychologue, une femme cette fois. Saurait-elle mieux percevoir l’hyperactivité de son fils, qui par ailleurs posait question dans l’entourage proche de l’enfant ? Saurait-elle mieux percevoir son désarroi de mère qui se débattait quotidiennement face à ces doutes, sa culpabilité, son envie de se désengager parfois. Sitôt introduite dans son cabinet, poussant doucement son enfant devant elle, elle comprit. Elle comprit que l’enfant n’y aurait jamais sa place, elle compris que l’enfant n’était qu’un prétexte, enfant carbone, enfant buvard de sa propre détresse. Elle comprit qu’elle s’était enferrée dans ses propres convictions pendant ces mois  où elle se croyait forte portant l’enfant comme un boulet. Le boulet n’était pas son fils, le boulet était en elle. Il ne fallut d’ailleurs pas longtemps à la jeune psychologue pour lui confirmer que son enfant lui paraissait tout à fait équilibré : peut être un peu plus vivant que d’autres, soit, mais gai, intelligent, sensible. Oui, sensible au mal être de sa maman.

 

En quittant son cabinet, le visage ruisselant de larmes qu’elle ne parvenait pas à tarir, elle entendit enfin les mots que Fabien avait semé adroitement à son attention tout au long de l’année écoulée : Tous ces « Et vous ? », question ouverte, et ses sempiternels et vains conseils de liberté, de détachement, de recul à seul but de lui faire ouvrir les yeux sur son leurre. Elle su alors qu’elle allait devoir défier son malaise en le revoyant, seule,  une dernière fois peut être. Elle su l’importance, l’urgence de cet ultime rendez-vous, à la fois début et fin. Elle lui devait bien ça. Faux, ils se devaient bien ça.

 

Tout au long de la journée, elle peaufina son discours du soir, énumérant mentalement, tout en vaquant à ses diverses occupations professionnelles, les sentiments qu’elle souhaitait mettre en avant :

-          Premièrement, s’excuser. S’excuser de quoi au juste ? De ne pas avoir perçues ses allusions plus tôt ? D’avoir enfin mis fin à son apathie, en provoquant le choc par la rupture, par la distance ? Ce qu’il attendait sûrement d’elle en fait…

-          Deuxièmement, évoquer le malaise qu’elle ressentait face à lui, exacerbée par la présence de l’enfant qui jamais n’avait été écarté de leur dialogue et par son absence d’analyse.

       Eu t-il été plus explicite, aurait-elle compris le message avant l’heure ?

-          Troisièmement, …Sixièmement, ne plus y penser avant le soir, fractionner ses priorités, ne plus trop s’écouter, vivre l’instant présent pour mieux vivre tout court. C’était aussi un de ses messages cachés qu’il avait eu l’art de lui esquisser, lors d’une rencontre précédente.

 

Ce rendez-vous, elle en était l’instigatrice mais nul autre que lui ne l’avait préparé, séance après séance.  Ce rendez-vous était une fin et un début : La fin d’un leurre, le début d’une recherche, la fin de l’apitoiement et de la colère, non celle des doutes. Ce serait long et chaotique, mais parce qu’elle se savait au pied du mur, parce qu’elle voulait penser ses blessures, elle se sentait déjà mieux, beaucoup mieux.


Un texte un peu ancien écrit dans le cadre d'un Atelier d'écriture. Il s'agissait d'un Rallye- mots devant impérativement faire figurer les mots en gras...

Je dédie ce texte à Sandrine et à Laure.
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17 mars 2007 6 17 /03 /mars /2007 20:30







 




Un homme vit dans votre grenier.

Non, dors dans votre grenier. C’est pire : bien plus difficile à déloger. En pleine nuit, un simple arrêt d’expulsion ne suffit pas, il faut surtout du courage : Le courage de s’arracher à sa couette, de se saisir de sa lampe torche et de grimper les escaliers extérieurs quatre à quatre pour espérer le surprendre en flagrant délit de squat. Espérer, c’est bien le mot, et vous savez bien que ce verbe d’état ne se transformera jamais en verbe d’action. Cet homme-là le sait aussi, allez,  c’est bien pour ça qu’il vient vous narguer la nuit. En même temps, il ne vous nargue pas vraiment, il faut bien le reconnaître ; il se fait le plus discret possible, à peine relevez-vous sa présence certains soir à quelques craquements intempestifs du plancher ; mais jamais au même endroit.

 

Au tout début, il y a quelques mois de cela, vous aviez bien pensé à un hérisson. N’avez-vous jamais remarqué à quel point le pas d’un hérisson est proche de celui de l’être humain ? Incroyable cette similitude sonore quand on considère la taille des pattes. Seulement, la seule expérience auditive que vous avez du pas du hérisson, c’est dans un champ d’herbes hautes ; pas dans un grenier. Et il vous faut bien reconnaître que cette similitude, même si elle vous surprend – mais vous en avez déjà été le témoin- s’arrête au son et non au bond. Bien que pourvue d’une imagination débordante, et même si l’idée vous fait sourire, vous n’allez tout de même pas jusqu’à vous représenter  un hérisson en train de grimper un escalier…sans contremarche. Par conséquent, vous aviez vite abandonné cette hypothèse et déduit logiquement : si ce n’est pas un hérisson, c’est donc forcément un homme ; mais un homme plein de retenue et de discrétion, pas le genre d’homme à venir vous violer en pleine nuit. Pensez, depuis le temps, il aurait eu maintes fois l’occasion.

 

Parce ce que ça fait un paquet de temps que ça dure ce p’tit manège des bruits contenus la haut. Jusqu’à l’entrée de l’hiver, vous mettiez ça sur le dos, ou plus exactement sur les pattes de votre chat. Sauf qu’en novembre dernier, votre chat est mort, écrasé par une voiture. Le coup du chat revenant d’entre les tombes pour hanter vos nuits, faut quand même pas exagérer, ça ne vous a même pas effleuré l’esprit. Quoique…Au début, un peu quand même ; pas si facile de se défaire de l’habitude d’un chat ; on l’entend miauler soir et matin, on le voit réincarné partout (pensez, un chat de gouttière beige clair !). Alors, de là à l’entendre traîner ses coussinets dans votre grenier, il n’y a qu’un pas. Seulement voilà, aujourd’hui, vous avez fait le deuil de votre chat, allant même jusqu ‘à reconnaître certains avantages à sa tragique disparition : vous allez enfin pouvoir redonner un coup de ponçage à votre table de jardin en bois, sans craindre que votre chat ne veuille mettre la main à la pâte (ça part d’un bon sentiment, notez)  dès le lendemain par un coup de ponçage très personnel. Oui, aujourd’hui, vous avez fait le deuil de votre chat, mais le bruit, lui,  est toujours là.

 

Bien sûr, vous avez, c’est légitime, également songé au pire : à la folie. (Ou à un début de folie, n’exagérons rien) ; vous avez même, un certain soir de doute profond, été jusqu’à relire  « le Horla »,  que vous avez dévoré puis refermé à une heure avancée de la nuit. Ca vous a rassuré (un tant soit peu)  sur votre santé mentale, soit, mais ce soir-là les bruits discrets se sont fait plus discrets que d’habitude, plus discrets, mais aussi plus fréquents, accréditant aussi sec l’hypothèse la plus plausible (après avoir écarté celle du hérisson, du chat et de la folie) : celle d’un homme qui dors dans votre grenier. A croire, ce soir-là,  que cet homme-là savait ce que vous étiez en train de lire et se jouait de vos nerfs. Peut être a-t-il même été jusqu’à percer un trou dans le plafond de vote chambre ? Vous y avez songé, à ça aussi. C’est chose courante depuis « Petits meurtres entre amis ».

 

En même temps, il ne vous ennuie pas plus que ça. Il respecte votre sommeil, lui au moins ; pas comme vous, susceptible de vous réveiller à n’importe quelle heure de la nuit, d’allumer la radio, la lumière, et de tourner les pages d’un livre. Y’a pas plus agaçant que le bruit des pages que l’on entend crisser irrégulièrement (surtout, si l’insomniaque pique du nez dessus) quand on cherche le sommeil à coté. A côté ou au dessus. C’est pareil.

 

Non, il ne vous ennuie pas plus que ça ; il respecte vos nuits mais surtout vos journées,  puisque certains matins, prise d’un brusque accès de courage, vous êtes montée vérifier aux aurores s’il n’était pas encore vautré sur l’un de vos deux fauteuils en osier, remisés là-haut pour l’hiver. Non, l’est toujours parti avant.

 

Sauf un matin, tiens. Un dimanche matin, plus exactement, vers 7h30. Un bruit effroyable vous a réveillé. Vous vous êtes redressée en sursaut dans votre lit, tétanisée, incapable d’allumer votre lumière ni de faire quoique ce soit. Il se sera réveillé trop tard, vu le jour palot qui filtrait dans le bas de la porte, et se sera redressé précipitamment, comme pris en faute, (comme s’il ne savait pas que le dimanche matin il pouvait dormir une heure de plus sans éveiller vos soupçons),  provoquant derechef le chahut qui vous avait réveillé, juste au dessus de votre chambre. Vous êtes restée de longues minutes immobile, prostrée, puis, dans le silence revenu, vous vous êtes à nouveau enfouie sous la couette, incapable de mouvoir vos jambes en coton jusqu’ à la cuisine pour assister planquée derrière la fenêtre à sa fuite effrénée à travers le jardin. Quelques heures plus tard, vous aviez constaté les dégâts  du choc du plafond : la vieille armoire  de votre chambre, dont la porte ne ferme plus depuis bien longtemps, avait déversé son trop plein de cadeaux de Noël sur le sol ; heureusement que votre fils n’était pas là ce matin là.

 

N’empêche, depuis ce jour où vous auriez pu facilement le confondre, les bruits n’ont pas cessé pour autant ; des bruits tout en discrétion, tout en retenue, mais des bruits quand même. A croire que vous avez signé tacitement un pacte de bon voisinage : vous acceptez sa cohabitation nocturne, contre quoi il se fait le plus discret possible. Après tout, pourquoi pas ? Au moins, cet hiver, à votre corps défendant, vous aurez fait une bonne action. Et puis, vous, vous n’êtes pas trop tatillonne quant à la date d’expulsion. L’été s’en chargera bien assez tôt, allez, quand il ne pourra plus tenir dans cette étuve, et quand, excédé par tout ce bois de charpente qui travaillera, il n’aura d’autre choix que de déguerpir…jusqu’à l’hiver prochain. 

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26 janvier 2007 5 26 /01 /janvier /2007 17:37
   

    Des mots montés du murmure intérieur,
    inspirés de ma lecture en cours.

  
    Daewoo - François Bon




Ton reflet en quatre lettre

 
 

Debout derrière la fenêtre,

D’en  haut vos vies en miniature

Et le flux lent de vos voitures

Qui déchirent l’aube encore obscure

Mais ton reflet en quatre lettres.

 
Derrière toi, les faux-semblants,

L’odeur entêtante du café,

Et celle des tartines grillées,

Un vieux poste aux ondes brouillées

Et le babillement des enfants.

 

Mais sur la table où s’émiettent

Les restes du petit déjeuner,

Trône un papier où quatre lettres

Te condamnent chaque mois à signer

Ta déclaration de non-conformité.

 

Devant les grilles de l’école,

A l’heure où pointent tes enfants,

Toujours courir et faire semblant,

Esquiver vos apitoiements,

Et fuir vos vaines paroles.

 

Et revenir sans te presser

Car tu sais l’heure du facteur.

Traîner en langueur et longueur,

Une dernière fois, vérifier l’heure

A ton poignet et puis rentrer.

 

Mais dans ta vieille boîte aux lettres,

Sous les factures, les impayés,

Traîne un papier où quatre lettres

T’ordonnent chaque mois de signer

Ta déclaration de non-conformité.

 

Alors te regonfler d’espoir,

Et rédiger deux ou trois lettres,

User tes yeux sur Internet,

S’égarer vers ces quatre lettres

Soudain, préférer l’écran noir.

 

Se retrouver face au reflet,

Au loin, fument les cheminées.

En vain, toujours la rechercher,

Comme on recherche sa moitié

Plantée là, un jour de piquet.

 

Mais avec tes sœurs ouvrières,

Ce jour-là furent enterrés

Tous tes rêves de vie ordinaire

Mis au rebut par un papier,

Ta déclaration de non-conformité.

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4 décembre 2006 1 04 /12 /décembre /2006 21:03


Quand la littérature réveille de vieux souvenirs..
.

 
Un instant après les petits vitraux en losange avaient pris la transparence profonde, l’infrangible dureté des saphirs qui eussent été juxtaposée sur quelque immense pectoral, mais derrière lesquels on sentait, plus aimé que toutes ces richesses, un sourire momentané de soleil ; (A la Recherche du temps perdu - Du côté de chez Swann- Combray)


Ma récompense c’était le soleil. Le tout premier, vierge, pressé à froid au sortir de l’hiver. Celui qui frappe les façades des vieilles demeures sans en réchauffer le ventre qui ronronne encore du poêle à bois. Démasque les perles de poussières sur les carreaux des portes fermières. S’’enroule sur la pierre du porche comme un vieux chat qui vous chauffe la place pour la sieste. Je guettais ses apparitions intermittentes derrière la porte close pendant le repas, l’interminable repas de famille dominical dont je maudissais la longueur qui m’en faisait perdre la moindre miette, susceptible d’être engloutie à tout instant dans l’estomac d’un nuage gris. Je guettais la part du gâteau qu’il me taillait sur la pierre du porche et que je viendrais croquer de mon ombre, sitôt l’annonce du café, jambes croisées en tailleur, échine frissonnante, yeux plissées.

Ma récompense, c’était le soleil. Le printanier, le frissonnant, l’éblouissant, celui qui vous hèle derrière les carreaux, celui que vous vous languissez de rejoindre, et cette attente, ponctuée de son sourire momentané, ce dépit d’en être écartée, cette crainte viscérale de n’en recueillir que l’esquisse, c’est presque insupportable…Et cette chaleur pure, fraîche ( !) enfin,  et cette solitude (déjà !), et cette lumière vive,  quand derrière vous le café s’éternise (et vous souhaitez de tout votre corps qu’il s’éternise avant la vaisselle où il vous faudra vous lever) dans la touffeur des pièces qui sentent le renfermé de l’hiver, dans un tintement de petites cuillères et de conversations qui s’étirent et dans le clair-obscur intérieur.

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