Quelque part, en montagne, près du lac Léman, en été.
Basile Lorettu, la trentaine, joue du saxo, saxo alto.
…il joue très tôt le matin parce que le matin très tôt il joue bien, il joue très bien très tôt le matin, très tard le soir aussi, il joue très bien aussi le soir très tard, d’ailleurs très tôt le matin, le soir très tard, c’est la même heure et c’est la même humeur.
Et quand Basile ne joue pas, ça swingue tout le temps dans son corps, dans sa tête.
Il rebondit sur les marches comme une balle qui vous échappe quand on est môme, c’est à cause de ses basquets à bulle, à niveau à bulle, à pompe, à air, comprimé…
Il rebondit sur les mots
Voilà, voilà, dit Fernand. Il le dit deux fois, pas deux fois voilà, deux fois voilà, voilà. Voilà- voilà, voilà-voilà. * Ca forme un rythme rappelant à Lorettu le début d’un mouvement d’un des quatuors médians de Beethoven, mais lequel (…) Lorettu n’écoute pas, il cherche toujours dans quel quatuor il a entendu le voilà-voilà, jusqu’à ce qu’il entende la soucoupe sur le zinc, puis la tasse pleine sur la soucoupe, puis la cuiller jetée sur le bord de la soucoupe.
Accessoirement, Basile recherche un travail, il n’a donc aucune raison de rencontrer Paul, la cinquantaine, qui vient de louer une maison avec sa femme pour les vacances. Sauf si Basile trouve du travail et que Paul a besoin de ses services. Sauf si Basile n’est pas toujours en train de fredonner un air de jazz réveillant chez Paul, ancien saxo ténor, une vieille passion oubliée.
Et tout finit (ou commence ?) en Be-Bop endiablé.
Et on sort de cette lecture le sourire aux lèvres, tant l’écriture swinguante de Christian Gailly nous fait danser, tant sa passion, (et pourtant, j’y connais rien en jazz !) son humour sont communicatifs.
Quel écrivain ! Quel virtuose des mots !
Ca revient, doucement, progressivement, il retrouve, a peur se retire, s’estompe, se dissipe, ce qu’il avait perdu, croyait avoir perdu , convaincu de l’avoir perdu, se retrouve, on lui offre le premier solo, il le prend, allons-y, il y va, il se lance, au début il patauge un peu mais très vite ça va mieux, il joue de mieux en mieux, c’est bien, c’est même pas mal du tout, ça étonne Lorettu qui se retourne, regarde les autres, l’air de leur dire, il joue pas mal le vieux, il joue même bien, un peu trop coltranien, mais bon, ça fait rien, ça fait plaisir, c’est vrai qu’on dirait Coltrane, le même phrasé, merci Paul, merci pour John …
Merci Monsieur Gailly…
Les Editions de Minuit
* Ce « voilà-voilà » m’a également fait penser à une réplique de ce superbe film de Kieslowski, « La double vie de Véronique »…Ah la la, que je l’aime ce film…il va me falloir une petite piqûre de rappel très prochainement …