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4 mars 2007 7 04 /03 /mars /2007 22:45





Les conséquences, elle ne les avait pas bien mesurées. A vrai dire elle ne les avait pas mesurées du tout. Elle s’était donnée un but : retrouver le bel homme au costume sombre. Elle avait  déjà bien à faire avec les moyens pour se préoccuper des conséquences.

 
Pourquoi ? Ça …Préférait contourner le mot. Parce que, voilà. Parce que son grand-père, parce que ses origines, besoin de connaître ses origines. Voilà, c’était ça. On va dire. Parce que toutes ses questions sans réponses, parce que toute cette haine surtout, de génération en génération. Oui, la haine. Elle était construite de haine. De la haine coulait dans ses veines, à son insu. Envie de défier cette haine et de partir en croisade. Jusqu’à la source.

 

Comment ? Par petits sauts, de pierre en pierre, enfin pas si petits car elle n’avait certainement pas beaucoup de temps. A vrai dire, elle n’en n’avait peut être même plus. Statistiquement, les hommes de cette génération meurent avant les femmes, dit-on. Sait pas, sentait pas son grand-père mort, peut pas dire pourquoi. C’était un homme fortuné à l’époque, médecin réputé de la baie d’Arcachon, descendant d’une vieille famille bourgeoise de la Ville d’Hiver. Ça, elle le savait de source sûre : sa grand-mère. Elle avait vendue la mèche un jour de colère contre tous « ces bourgeois de la Baie qui lui avaient tourné le dos ». Il était fortuné donc et aucun cabinet de généalogie ne l’avait contacté à ce jour. Ni elle, ni sa mère, pour ce qu’elle en savait…Faible argument pour brandir haut et fort le postulat indispensable de sa recherche : l’homme sur cette photo est encore en vie.

 
Quoiqu’il en soit, sa mère était sa première pierre, son unique point de départ pour passer le gué. Elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle ne voyait pas comment faire pour la contourner. Et c’est là, sûrement, qu’elle n’avait pas mesuré les conséquences de tout ça.

 
Qu’est ce que je croyais au juste ? Avoir son aval, être accueillie à bras ouverts quand moi je refermais les miens sur un vieux papier au son de papillote ? Je suis repartie bredouille, elle derrière moi, vociférant des « Fout moi la paix avec toutes ces conneries du passé…Qu’est ce que t’attends ma pauvre fille à remuer la merde comme ça… » .Bref, du grand art comme toujours. Le degré zéro de la communication mère-fille. De toutes façons, tu l’avais rayé de ta vie le jour de son cinquième anniversaire et ça, pour elle, c’était un mur infranchissable.

 
Qu’y avait il derrière ce mur ? Des souvenirs aux contours imprécis, des éclats de voix, de tendresse…Ou bien rien. Un voile noir qui recouvre tout. Tout, sauf une tâche violette, petit poster oublié dans sa chambre d'Arcachon, le jour de son départ précipité avec sa mère, le jour de ses cinq ans, donc. Une tâche mauve sur le mur blanc que sa rétine d’enfant avait imprimé jusqu’à l’aveuglement tandis qu’une poigne d’acier la tirait vers la porte, vers le train, vers l’exil bordelais. Une tâche violette sur le mur blanc d’une galerie d’art, bien des années plus tard. Et ce soir-là, devant les petits fours d’un quelconque vernissage, l’unique confidence de sa mère sur son enfance oubliée. Rien qu’un voile devant les yeux, bref, fugitif, mais, très vite, sentant sur elle le regard appuyé de sa fille, cette petite phrase, comme une pirouette. Un simple constat, froid, net, cassant : « il y a des couleurs qu’on ne peut arracher au passé. » Fin de la discussion.

 
Au pied du mur, une gamine nourrie du ressentiment maternel, d’une haine intarissable, de plus en plus boueuse et opaque au fil des ans. Au pied du mur, une gamine qui ne connaissait rien de son père, finalement,  rien, sauf la haine. Et cette haine se nourrissait d’elle-même, insidieuse.

 

 « Je hais mon père et je le hais surtout parce qu’il nourrit la haine de ma mère qui me pourrit la vie. » ça je le sais, pas besoin de le lui demander. Je t’ai haï sans même te connaître, je t’ai haï à travers la haine que je portais pour la haine de ma grand-mère à ton égard. Je t’ai haï jusqu’à cette photo. Pouvais enfin mettre un visage sur cette haine, et ce visage m’a apporté la paix.

 

Mais elle n’a pas accordé un seul instant ce jour-là,  pas une seule chance pour cette seconde de paix que, peut être, je lui apportais, sous un papier cristal.

 

Au pied du mur, elle savait qu’il lui faudrait se débrouiller seule, sortir des sentiers battus de sa morne existence, se faire violence pour aller vers l’inconnu. Oser.
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28 février 2007 3 28 /02 /février /2007 00:19

 

Ton corps sera cette chose grise et ratatinée tout au fond de ce coffret en bois, la peau sur les os. Pour combien de temps encore. Ton regard, éteint sous tes paupières, tes lèvres, vidées de couleurs, ta mâchoire affaissée, tes joues creusées, aspirées.

 

Ou plus sûrement une masse flasque et informe moulée dans un coffre de bois grisâtre, comme ceux des maçons,  culottés de ciment, à ras bord, débordant, généreux. Car qui se paiera le luxe de t’offrir un écrin en chêne comme celui-là ?

 

Tu l’envierais presque sur son capiton moiré, la tête bien calée par un petit coussin rembourré.  Ferait bien sur ton canapé, pour surélever tes gros poteaux de chair, en fin de journée. Te ferait presque sourire, sous ton masque de circonstance.

 

Son immobilité réveille en toi un vieux souvenir gorgé d’effroi que le relâchement de ton corps, enfin libéré de sa gangue de peur, élève à la surface de tes pensées. Un souvenir ou un cauchemar, il y a longtemps que tu ne sais plus distinguer l’un de l’autre.

 

Une maison de ciment fouettée par les vents et les embruns.  A l’une de ses extrémités, une tour carrée surmontée d’une terrasse. Et sur cette terrasse, un jeu d’enfant : métallique,  tortueux, emmêlé comme un tas de trombones que l’océan, tout proche, derrière les dunes, aurait laissé tomber là, un jour de tempête, de sa poigne d’acier liquide. Puis que le vent aurait durci et poli au fil des ans. Dans cet enchevêtrement gris,  ton corps souple d’enfant et le sien font des vagues, s’agrippent l’un à l’autre, renversent le monde, s’enivrent de goulées d’air, de flux et de reflux. Les varices du ciel tanguent au-dessus de toi, ton sang cogne dans tes tempes. Soudain, elle se laisse tomber dans un coffret en bois, dessous l’amas de tiges d’acier. Le coffret est tapissé de sable humide où son corps s’incruste, immobile.

 

Un souvenir ou un cauchemar, il y a longtemps que tu ne sais plus qui sursaute soudain : son corps ou le tien tandis qu’une vague glacée s’abat sur toi puis se retire très loin, te laissant ruisselante sur le rivage.

 

Tu sais aujourd’hui que la vague s’en est allée lécher d’autres grèves, vos deux corps sont apaisés. Il fallait sans doute que la vie quitte l’un pour que la peur quitte l’autre, que le jeu s’achève un jour, d’une manière ou d’une autre.

 

Ce petit jeu sans conséquence pour l’un, trop longtemps sans conséquence…Sous tes larmes d’apparat, aujourd’hui, tu en savoures les conséquences…

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11 février 2007 7 11 /02 /février /2007 21:41



Aqueuse… « Ne vous inquiétez pas, je suis aqueuse… » Ce sont les tout premiers mots que tu as prononcés. Et moi qui, l’instant d’avant, évitais les flaques d’eau et ruminais mes pensées détrempées,  je suis parti d’un grand éclat de rire,  dégrisé aussi sec de mon vague à l’âme.

 

« A…quoi ? » Je crois bien que je ne connaissais même pas ce mot avant toi, et pourtant, j’en lisais des livres ! Je traînais déjà derrière moi une drôle de réputation parmi mes patients. Médecin du corps, médecin de l’âme, qui laissait traîner sur son bureau, en guise de presse-papier, des invitations à la lecture. Au moment de notre rencontre, c’était « Paroles » de Prévert. Je m’en souviens parce que « Barbara », Barbara sous la pluie. « Toi que je ne connaissais pas, toi qui ne me connaissais pas… ». Ces vers, je me les répétais sans cesse, ce printemps-là, ce printemps si pluvieux. Et ce jour-là, il pleuvait tout gris là-haut et j’étais en retard pour rejoindre mon cabinet que je venais d’ouvrir quelques mois plus tôt, en bas du parc. Je l’ai aperçu dans la courbe d’une ruelle. Elle sautait dans les flaques d’eau en protégeant sa lourde chevelure blonde par un panier ajouré qu’elle brandissait à bout de bras au dessus d’elle. Vaine précaution, la pluie ruisselait sur l’ovale de ton visage, plaquait des mèches de cheveux sur tes yeux, sur tes joues, sur ta bouche. Elle était comme ces petits chiots mouillés et faméliques qui jappent et se secouent  comme des fous au sortir de leurs premiers bains de mer. J’avais toujours aimé cette joie animale et fiévreuse, sans parvenir à démêler si ce que je préférais dans ces scènes dont j’avais souvent été témoin sur les plages d’Arcachon était l’envie que j’éprouvais pour leur spontanéité où ce plaisir secret et anticipé que me procurait la réaction outrée de celles (surtout !) et ceux qui avaient le malheur d’en être les victimes.

 

Je me suis approché de toi et j’ai coiffé ton panier ajouré de mon grand parapluie flambant neuf.  Je m’apprêtais sûrement à accompagner mon geste d’une phrase des plus banales, à mi chemin entre le sermon professionnel et le conseil paternel, genre « mettez-vous à l’abri, jeune fille, vous allez attraper froid ». Je n’ai jamais été un grand séducteur auprès des femmes ! Je ne t’ai jamais séduit, je n’aurais jamais voulu, ni pu d’ailleurs. Ca m’est tombé dessus. C’était l’eau de ce jour-là, dense, pénétrante. Elle était jeune, quatorze, quinze ans peut-être, et j’étais fou amoureux de ta grand-mère. Mais tu m’as coupé l’herbe sous le pied avec cette drôle de phrase ânonnée, presque chantée.

 

J’ai éclaté de rire et j’ai vu de la surprise dans tes yeux. Puis aussitôt un sourire et un flux de paroles, justement. Comme pour justifier le mot, un flux de paroles sur son ressenti …d’eau.

 

Et là, sous mon grand parapluie qui déverse sa coupole d’eau à nos pieds, entourés de flaques puis bientôt de petits ruisseaux qui dévalent les ruelles incurvées et entraînent des pétales de magnolia (« Oh ! Des barques de fleurs, regardez ! »), je m’accroche à ta voix, assourdie par le martèlement de la pluie, je m’accroche à ta voix d’où s’échappe, comme une victoire consentie par le ciel, des notes aigües qui en faisaient la louange : ondée, averse, nuée, crachin, mouillée, marée, océan, buée, glaçon, vapeur, écume, caresse…L’ensemble fluctuant au gré des inflexions de sa voix, j’avais cette étrange impression dans le corps, un peu comme le mal de mer, - mais peut être déjà tout autre chose, ce quelque chose qui t’échappe, qui te happe sans prévenir-  l’impression de voguer, debout sur un frêle esquif, au centre d’un océan légèrement agité,  un recueil de poésie grand ouvert devant moi, qui me permettait d’en décrypter le mystère. Tu étais d’une spontanéité, d’une maturité déconcertante. Déconcertante, car dès qu’elle cessait de parler d’eau, elle redevenait une enfant, vive, insouciante et légère comme le sont tous les enfants à cet âge-là. Puis, l’instant d’après les mots coulaient de sa bouche comme un torrent imprévisible qui charrierait tout à la fois une connaissance insoupçonnée et inédite du milieu liquide et un don inné à le décrire avec les mots les plus justes et les plus beaux de notre langue française.

 

Nous nous sommes rencontrés dans l’Allée du Moulin, je te montrerai la Villa Toledo et son escalier de dentelle blanche, et, à tous petits pas, je buvais ces paroles, nous nous sommes retrouvés dans le Parc Mauresque. A cette époque, encore, le Funiculaire, devant le casino. C’était toute une aventure pour descendre dans la ville basse !  Là, dans le wagon, tes yeux qui pétillent, gamine, comme dans un manège, un vieux manège en bois, sans la musique, sauf celle dans ta tête…

 

Je l’ai quitté Cours Desbiez, ton panier de nouveau sur ta tête, la pluie qui redouble et sa silhouette qui s’éloigne en sautillant dans les flaques d’eau vers l’épicerie Brémontier. Toute ma jeunesse, l’épicerie Brémontier…J’ai ouvert la porte de mon cabinet, mais j’avais sa silhouette dans mon dos, dans ma tête, et puis la vie, au sec, qui reprend son cours doucement. Les patients, les mots dits comme ça au détour d’une phrase banale, les mots, il faudrait toujours aller creuser ce qu’il y a en dessous, mais la salle d’attente, derrière la porte, autant de mots en suspension…Alors, les mots, tu les laisses un peu se dérouler tandis que tu saisis ton bloc d’ordonnance coincé sous tes bouquins. Tu noircis la feuille de mots, des noms un peu barbares, un peu savants, sensés adoucir le corps,  et tu prescris des mots plus doux, pour l’âme, pour ceux enroulés dans la gorge et qui font souvent plus mal que la grippe. L’extinction de voix, parfois, au propre comme au figuré. Tu tends l’ordonnance et parfois la pile de bouquin diminue un peu aussi…Justement lisez ça, vous me le ramènerez la prochaine fois. Et tandis que tu le raccompagnes à la porte, la veste alourdie d’un recueil où vient se nicher ton ordonnance, comme une feuille volante, un erratum quasi illisible de ton écriture patte de mouche, ton regard qui s’égare vers la fenêtre, la pluie toujours comme des points d’exclamation et ses mots à elle, soudain,  qui s’enroulent dans ta gorge. Tu veux les chasser de ta tête mais ils s’accrochent à ton corps…

 

 

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28 janvier 2007 7 28 /01 /janvier /2007 22:40




Comme un prétexte à bout de bras, lui, son corps, caché derrière la porte, l’antichambre de notre enfer. Répéter dans une forge, en pleine canicule, non mais vraiment…c’était bien une idée de Benoît, ça.  J’peux t’dire qu’on l’attendait de pied ferme, celui-là, une plombe qu’on poireautait tous les six. Pas à prendre avec des pincettes. J’avais ma gratte qui dégoulinait au bout de mes doigts, les cordes devenaient flasques à chaque accord. T’en pinçais une et t’avais celle d’à côté qui s’faisait la malle. Y’a rien à faire quand les notes s’échauffent comme ça, le ‘la’ sitôt trouvé qui se lasse aussi sec sous la moiteur de tes doigts, l’accord qui se ramollit, les mauvaises ondes dans ton poignet.

 
Non, rien à faire.

 
On remballait quand il est arrivé. On a d’abord vu, brandi devant lui, comme un prétexte donc, son vieux carnet à spirales, comme une marionnette ; sa gueule carrelé toute fripée se dandiner dans l’entrebâillement de la porte, sa gueule en papier mâché et son dentier métallique d’où pendouillaient quelques lambeaux de chair. Et lui, derrière, avec sa basse en bandoulière et sa voix de fausset qui claironnait : « J’vous ai trouvé Blanche Neigeuuuux ! ».

 
En temps normal ça nous aurait p’t’être fait marrer, comme la bonne blague habituelle qui soude un groupe, le rend plus fort, indestructible, aux yeux des autres, ceux qui comprennent pas vos p’tits sourires complices ou vos rires carrément gras. A chaque fois…Blanche Neige ! Nan, tu vois pas ? Bah, on est six mecs dans le groupe, sept avec Patrice qui nous prête sa forge pour répéter et pas une seule nana, voilà, c’est tout quoi. Manque une âme féminine ici, qu’on nous a dit un jour. D’ où Blanche Neige. Ouaih bon, nous faut pas grand-chose…Mais, là, nous parler de Banche-neige, à près de quarante degré, tu comprends, c’était presque indécent. Déchaînés on était. Contre lui. Pouvait s’la remballer sa Blanche-neige, nous, on aurait rien emballé ce soir là. Trop chauds. Enfin, sauf Patrice, parce que lui la chaleur. Ca ne l’avait pas empêché de tambouriner toute la soirée et de tremper ses grosses pinces dans l’eau bouillante même qu’à chaque fois on avait l’impression qu’il décapsulait une canette. Ca n’arrangeait rien à nos nerfs, tu vois bien.

 
Il a quand même essayer d’en placer une, nous dire qu’il avait de bonnes raisons d’être en retard donc, qu’il venait de rencontrer une femme extraordinaire, belle, drôle, subtile et …aqueuse. Aqueuse ! Non, mais tu vois l’tableau. Imagine : cinq mecs, assommés par la chaleur et le bruit d’un sixième qui contorsionne ses barres rougies dans son coin, cinq mecs assoiffés, moites et chauffés à blanc par l’attente, à qui on parle d’une nana aqueuse. Le genre d’interrupteur verbal qui déclenche invariablement un déluge de blagues douteuses. Les mecs ensemble, enfin, tu sais…Bah même pas. Te dire dans quel état on était. Lessivés, détrempés, des chiffes molles pressées de quitter la fournaise pour s’écrouler sous une douche froide ou dans la Sarthe, va savoir où nos pas, ce soir là, auraient pu nous mener. J’ai vaguement vu Benoît hausser les épaules, arracher une page de son carnet et glisser son torchon dans une des poches de mon jean. Tu liras ça demain à tête reposée…

 
C’est comme ça qu’elle est entrée dans notre vie, Mamée. Une goutte d’eau à la porte de notre enfer de flamme, une goutte d’eau dans ma poche, dans ma p’tite vie étriquée, jusqu’à ce que je déplie le papier le lendemain matin. Et là, j’ai sauté sur le p’tit Robert pour vérifier. Aqueux, aqueuse : Qui est de la nature de l’eau, ou qui contient de l’eau. Jamais entendu ce mot là avant. Aqueuse…

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8 janvier 2007 1 08 /01 /janvier /2007 22:15




Encore un peu et elle partait à la poubelle, avec de vieux actes notariés dépassés et passés de couleurs dont les feuillets craquants et jaunis se déversaient au dessus de la gueule béante d’un carton mal rasé qui avait du jadis essayer de cacher ses cicatrices d’un jour sous des pansements de fortune.

 

Ce n’était pas tant sa couverture cartonnée qui avait attiré son attention, un tantinet plus rigide que celles portant l’effigie républicaine, mais tout aussi décolorée et auréolée par endroit ;  pas le souvenir d’un dégât des eaux ou de la dernière crue décennale de la Garonne, non,  trop petites les auréoles, aux contours trop bien marqués. Pâle souvenir, plutôt, d’une tasse de café malencontreusement renversée. Ou bien de thé. Oui, plutôt de thé, dans ces familles-là…

 

Ce n’était pas non plus l’odeur, il aurait vraiment fallu qu’elle ait le nez dessus, bien dessus, les narines dilatées, pour isoler les vieilles effluves de fixateur du bain dans lequel elle avait été plongée durant toutes ces années : poussière, humidité, fumée de cheminée et derrière tout ça, malgré tout, on se demande comment…, l’odeur du carton, surtout. Et avec ça le nez anesthésié, toutes ces odeurs qui étaient passées en elles, entêtantes, tenaces, heureuses de sauter sur la première venue après tant d’années de réclusion sous la mansarde du grenier.

 

Non, c’était le bruit, finalement, enfin la gourmandise, pour être plus précis. Comme quoi, ça tient à pas grand-chose des fois, tu brasses un carton mou qui pue le vieux, tu t’es déjà tapé les cinq ou six précédents, consciencieusement, pour bien vérifier que tu ne jetterais que du vent, mais celui-là, tu le jauges d’un coup d’œil, je vais jamais au bout des choses de toutes façons, « manque de constance », ça ma suivi ça, tout le temps,  t’as faim, t’es fatigué, t’en as marre de ce tri morbide et ta mère comme d’habitude qui s’est défilée, tu te le cales bien sous les seins pour pas que tout dégringole dans l’escalier, et tout à coup t’entends un bruit de bonbon, de papillote au chocolat, on dirait, et tu te retrouves nez à nez avec ton grand-père. Sous la couverture jaunie, sous le papier cristal qui crisse la faim d’un ventre vide et les vieux souvenirs de noël comme un renvoi un peu écœurant qui t’écoeurent tellement que tu les as planqué sous une épaisse couche de souvenirs, bien au fond dans ta cuirasse, mais ça remonte toujours ces trucs de gosses, c’est comme Renaud avec ses Mistrals Gagnants, sous le papier, un vieux cliché en noir et blanc, pas jaunie, la photo, elle, tu penses, elle a pas du prendre l’air souvent avec toute la rancœur qu’elle avait contre toi, on n’imagine mal des accès de nostalgie. Une photo de groupe sur un escalier, l’hôtel Régina à Arcachon ah ? non je connais pas bien Arcachon, la Ville d’Hiver non plus, qui encadre tout en bas un couple de jeunes mariés, elle tu la reconnais immédiatement même si t’as jamais vu de photo d’elle si jeune, c’est ta mère tout crachée, et toi aussi un peu, peux pas renier la lignée, une femme, belle, l’allure aristocrate, fière, radieuse, pas encore cette raideur dans le regard, à son bras, un bel homme, costume sombre, un large sourire qui lui barre le visage, yeux plissés par le soleil, donc, tu te dis, ton grand-père, forcément.

 

Elle s’était assise sur le carton éventré, la photo à bout de bras, puis l’instant d’après le nez dessus, qui scrutait les moindres détails, comme si une photo, un instant T, c’est idiot je sais, pouvait te donner l’explication de toute une vie, agacée par la fine pellicule de papier qui revenait sans cesse recouvrir le cliché, tu penses le papier quand il s’est habitué pendant des années, et moi qui n’osais pas y faire un pli, dans un bruit de papillote froissée, ce Noël, j’étais pas vieille, où je lui ai demandé pourquoi elle s’était jamais mariée avec Pépé, et elle tout à coup  furieuse, furie, me postillonnant me parle pas de mariage, j’ai déjà donné…ton grand-père, c’était…et là c’était presque risible, toutes ces injures à ton égard, on aurait dit le capitaine Haddock, j’ai pensé. Si bien que la première fois que j’ai entendu parler de toi, de mon vrai grand-père s’entend, moi ça m’a fait rire. Je t’ai imaginé drôle et un peu marin d’eau douce, forcément, pour être capable de déclencher autant de grossièretés dans la bouche de ma grand-mère, elle d’habitude, enfin tu croyais, si …distinguée, et puis c’est devenu nettement moins drôle avec le temps, la porte qui s’était ouverte ce soir-là, et toujours cette colère, ce mépris pour toi, sans aucune explication, ça n’en vaut pas la peine, et devant maman en plus, mais elle est habituée tu penses, depuis toute petite, à ce mépris du sexe masculin : son père, cet inconnu, son beau-père, négligeable, mon père, on oublie et d’ailleurs il nous oubliera très vite, et toi qui lui en veux, bien sûr normal,  jusqu’à ce qu’un jour tu comprennes, tellement t’étouffe sous la serre, tellement t’es moite et que t’as peur de pourrir de colère renfermée comme elles, pourquoi un jour il s’est barré sans laisser d’adresse, dans un bruit de papillote froissée, mais au fond le silence, le vrai, le pur, le calme froid, et là tu sens plus rien, ni la poussière, ni la transpiration, ni ce dégoût de devoir trier les affaires d’une morte, juste la conviction que pour une fois j’irai jusqu’au bout, jusqu’au bout de ce qui naît, là, à l’instant au bout de mes doigts : la décision de te retrouver pour te remettre la photo. La photo, comme un prétexte à bout de bras.

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4 janvier 2007 4 04 /01 /janvier /2007 00:51





Tambouriner
, marteler, s’écraser.

S’agripper au meneau,

Puis glisser lourdement le long du verre coulé.

Entrevoir au travers

Tous ceux que j’ai aimés,

Flous, imprécis, colorés.

 

Se laisser tomber sur un matelas de poussière

Et y creuser mon lit…

 

Rebondir sur le parapet d’un pont.

Hésiter à plonger.

En oublier la soif d’un lichen vorace.

 

Se poser en douceur et vernir ton ongle.

 

Mouiller le lit aride de tes rides,

Ton visage, comme une feuille

Vidée de chlorophylle.

 

Atteindre le delta de ta bouche

Et exploser sous ton palais.

 

Sourdre au creux de tes yeux.

Dévaler le flanc de ton nez.

Embuer tes lunettes.

Stationner sur tes lèvres.

Etre happée par ta langue.

 

S’arrondir et se perdre dans le creux de ta main,

Puis être déposée au sommet d’une épaule.

Chatouiller un cou nu,

Une nuque tendue.

La sentir frissonner.

Et puis l’instant d’après,

En boire sa tension.

 

S’accrocher au lacet d’un soulier,

A la paille des dossiers,

Aux prières ânonnées.

 

S’accrocher  à la moiteur de l’air,

A la lumière qui poudroie,

Et se pulvériser sur des pétales de roses.

Se charger de leurs parfums entêtants,

Et de ceux des rubans

Aux lettres d’or et d’argent.

Regrets éternels,

A ma sœur, mon amie,

Mon amie, mon amour, mon amour, mon amour

 

S’accrocher,

Aux volutes de l’encens,

A l’œil irrité,

A la narine rougie.

 

S’accrocher,

Aux souvenirs des mots

Avant de les noyer.

Aux souvenirs des traits

Pour mieux les refléter.

Dans ma mémoire qui se liquéfie.

 

S’accrocher.

Se suspendre au temps

Qui s’écoule encore hors de moi.

Le tordre,

En boire la dernière goutte

Jusqu’à la lie.

Reboire ma vie

A l’accéléré.

 

S’’accrocher,

Encore un peu…

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27 décembre 2006 3 27 /12 /décembre /2006 23:01




Ne t’en va pas trop loin au large…

La peur installée dans tes tripes s’imprime, éraillée, sur tes cordes vocales. La mer s’affaisse entre tes cils, une silhouette y danse en symbiose, de plus en plus petite. Tu es sur le sable, il fait chaud sous tes pieds nus, il fait chaud sur ton visage, et déjà là, au fond de toi, tu te souviens, déjà là ce jour-là, des courants sans cesse contrariés qui s’affrontent, s’entrechoquent les uns contre les autres dans ton corps : chaud contre froid, plume contre plomb. Et s’ils ne se limitaient qu’au corps, encore…Mais ils s’infusent dans tes pensées, paralysant le moindre de ses élans. Fétus d’idées, à peines poussées, déjà broyées.

Une main mouillée sur ton épaule, une paume et ses cinq doigts, crispés, qui s’y incrustent. Un cri perçant, presque hystérique dans ton oreille…Colère d’une mère, mélange d’effroi et d’incompréhension. Puis l’étau qui se desserre, le bras qui retombe mollement, qui capitule dans ton dos. Et tout bas, comme un murmure juste pour le sable, parce qu’elle sait bien qu’il est vain de vouloir franchir l’explosion des vagues, d’en atteindre leur frémissement, qu’une paire d’oreilles, dont on ne distingue presque plus rien, a depuis longtemps fait sienne ; juste pour elle, parce que toi. Toi, elle te confond déjà avec le sable, petite clavicule négligeable : «  Qu’est ce que je vais faire de cette gamine.. »

La peur installée dans tes tripes, la peur qui s’empare de ton ventre, la peur par procuration qui te plaque au sol. Et pourtant il fait doux, tu sens la caresse du soleil sur ton visage. Profite-en, mais profite-en bon sang, des journées comme ça. La voix derrière toi est irritée, agressive, pour un peu elle t’en ferait presque oublier la peur. Non, pas oublier, tu t’en souviendrais. Cette peur, elle te colle, elle t’encolle au sol, et cette voix, loin d’égailler en toi la petite pincée de légèreté que la chaleur y a laissé en entrant, cette voix, elle la suspend en plein vol. Qui retombe aussitôt. Et sa poussière s’amalgame, poisseuse déjà, sur le sédiment épais que ne parviennent même plus à brasser tes courants.

A force de regarder le large, tu ne vois plus rien, juste ces pensées emmêlées qui te fossilisent au sol. Plus tard, bien plus tard, alors que la voix derrière toi s’est tue depuis bien longtemps, lasse de t’insuffler son insouciance, son inconscience, son indifférence, tu distingues enfin la silhouette, déjà proche,  qui se laisse dériver, comme à regret, vers le sable gris souillé d’algues. Elle se met en boule, la tête vers le large et déplie ses jambes comme la vague s’écrase puis tout aussitôt l’abandonne au massage du sable en va et vient. Elle se lève, efflanquée, lumineuse, légère devant le sable imbibé de ton ombre, énorme. Et tu la hais pour ça. Sans aucun égard pour ton corps raidi, elle court vers toi et t’enlace. Tu voudrais la repousser de rage vers la mer. Tout en elle te répugne. Ces algues collées, ce sel poisseux et ce sable, surtout ce sable en voile indécent sur son corps qui agace ta peau, tes nerfs à fleur de peau. Mais c’est elle qui  s’écarte de toi, brusquement,  comme un aimant à l’identique mais répulsif.

Une main mouillée sur ton épaule,  calme, apaisée, presque langoureuse, tu te souviens de la peur de ce jour là, comme tu as eu peur de la perdre, ce jour-là et d’autres encore. Tu te souviens comme tu la détestais quand elle riait de ton effroi ou pire, comme cette fois-là, quand elle l’ignorait. Et tu t’étonnes de penser à ça aujourd’hui, quelle ironie, de découvrir que le paroxysme de la peur, celle qui t’a gâché toute ta vie, n’est qu’apaisement, douleur, mais apaisement, sérénité.« Douceur des choses irrévocables ».
 

Une main mouillée sur ton épaule, calme, apaisée, presque langoureuse, et tu comprends soudain, à la recherche des battements habituellement sourds de ton cœur, tandis que le cercueil s’affaisse entre tes cils, sous le poids des fleurs, pourquoi ce jour-là elle t’a repoussé : Le rythme de vos cœurs, désaccordé, l’un empreint du clapotis de l’eau, l’autre de l’emprise de la peur. L’un qui s’égoutte, l’autre qui n’en finit pas de tambouriner.

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20 décembre 2006 3 20 /12 /décembre /2006 22:32




C’était écrit. Pas dans les lignes de ta main, ça sûrement pas. Celle que tu ne me donnais jamais. D’ailleurs, je ne te la demandais pas, je gardais la mienne dans ma poche, je savais bien que si je tendais un doigt, ne serait-ce qu’un doigt, tu disparaîtrais jusqu’à la prochaine marée, avec le risque que la lune soit distraite l’année suivante. Non, ça se déclinait plutôt dans la palette aquatique de ton corps, dans ta galerie où nos sources fusionnaient, dans la larme de plaisir qui naissait à l’estuaire de tes yeux, dans l’eau de ta bouche que je lapais sans apaiser ma soif, dans le voile de sueur qui nappait le grain de ta peau, là, dans le creux de ton cou qui aimantait mes lèvres, longuement, quand je te retrouvais. J’aurais pu m’endormir, debout, le visage niché dans ton cou, j’aurais pu m’y noyer. Pourrais-je vivre à présent avec son simple souvenir ?

Mamée…Tu flottes partout. Sur ce banc d’église humide, sur ma canne qui scintille, sous ma veste trempée, sur ma peau qui frissonne au contact de l’eau, à tes caresses encore.

Tout à l’heure, je t’ai attendu sur le parvis de l’église. Derrière la porte en chêne qu’ils avaient refermée, j’ai entendu le son de l’orgue suivi d’un court silence, recueilli, entrecoupé de toussotements et de reniflements, sitôt brisé par la voix monocorde du curé dans le micro. Devant lui, j’imaginai sans peine, pour avoir assisté à tant d’obsèques ces dernières années,  ce cercueil que j’avais entr’aperçu un bref instant lors de sa descente du corbillard. Cette chimère que j’ai défiée de mon regard  pour en jauger la vacuité mais dont j’ai, bien malgré moi, percé l’écorce. Alors, j’ai fermé les yeux à m’en meurtrir les paupières pour chasser loin de ma rétine l’image fugace, aussitôt absurde, d’un corps déjà flétri. Devant moi, la lourde porte en bois a fait gémir ses gonds asséchés, et je suis resté seul dehors, apaisé, avec mes certitudes retrouvées, pour t’attendre, tremblant, debout, malgré la fatigue du voyage. Je t’ai guetté sur le parvis, sous le ciel qui s’obscurcissait tandis qu’au loin grondait l’orage. Je regardais le vieux pont en pierre, tout là-bas, sous lequel tu m’avais entraîné ce jour-là, pour laisser filer ta main dans l’eau vive. Tiens, je crois bien qu’il faisait le même temps qu’aujourd’hui, mais nous avions su « passer entre les gouttes ». Ma seule et unique courte visite dans ta « campagne profonde » et nous voilà en train de regarder des vieilles pierres entre deux averses !  « Tu vas voir, c’est un vieux village médiéval plein de charme ». Penses-tu, je n’ai rien vu, je ne voyais que les tiens, si aveuglé par mon désir pour toi ! La preuve, ce matin, assis dans la voiture près de Pauline, je ne reconnaissais rien du paysage de notre précédente excursion pluvieuse. C’est si loin, tout ça. Oui, j’ai toujours une excuse à portée de main, tu as raison ! Mais aujourd’hui, je suis tout excusé, je n’ai plus ma raison. Moi qui ai si souvent côtoyé la mort tout au long de ma longue carrière, je refuse la tienne. Je t’ai attendu tout à l’heure sur le parvis, je regardais le vieux pont et je guettais ton apparition imminente,  toute menue dans ton imperméable turquoise. Et puis, la pluie, enfin, a percé le ciel noir, petite perle au bout de mon doigt comme une larme recueillie derrière mes paupières que je frottais l’instant d’avant pour mieux surveiller ta venue. Un doute soudain…Non, mes yeux sont bel et bien secs, pourquoi pleurer puisque dans quelques instants je vais croquer ton cou. Mais les perles bientôt ont roulé sur la paume de ma main et les marches de l’église se sont constellées d’étoiles brunes, la poussière s’est soulevée et le parfum de terre mouillée a empli mes narines, m’a piqué les yeux.  Et …et lorsqu’une d’entre elles s’est aventurée sur mes lèvres sèches, c’est là que j’ai reconnu ton baiser, ta caresse. Elle est venue se mêler à mes larmes salées, enfin. J’ai cessé de regarder le pont, j’ai poussé doucement la lourde porte en chêne et je t’ai emmené avec moi, en moi à l’intérieur de l’église. Je suis allé m’asseoir derrière Pauline, voûtée, secouée de sanglots, et j’ai posé ma main mouillée sur son épaule pour que tu la consoles.

Tu étais l’eau, Mamée, tu était l’eau, moi le galet. J’étais sur la grève, loin du ressac. Tu m’as trouvé un jour de pluie. Je ne sais toujours pas pourquoi tu m’as choisi ce jour-là, moi, pourquoi moi, aussi gris, aussi lisse que les autres galets, aussi terne que le ciel cendré. Tes yeux se sont posés sur moi, tu m’as effleuré du bout des doigts puis tu m’as lové dans le creux de ta main, et j’ai su qu’avant toi j’avais froid. Tu m’as déposé près des vagues, là où tu saurais toujours me retrouver. Je me suis cru abandonné, mais chaque année tu étais ma grande marée. Et près des vagues, solstices après solstices, le souvenir et l’attente de ton retour me donnaient l’éclat dont je tirais ma force, ma joie de vivre.

Tu es en moi, Mamée, dissous-moi, émiette-moi.

Un jour, je serai sable que tu viendras lécher, aspirer, enrouler dans ta vague.

 Ne t’en va pas trop loin, Mamée, ne t’en va pas trop loin au large.

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14 décembre 2006 4 14 /12 /décembre /2006 21:03




Ca doit sentir bon dehors, le mouillé sur le sec, j’adore. Ca sentait pareil la première fois que je l’ai rencontrée au jardin public. D’habitude, ça me fait plutôt marrer toutes ces coïncidences que la vie dépose à nos pieds. A nos pieds, au dessus de nous, partout, pour qui sait regarder. Parce qu’on peut passer une vie sans en rencontrer. Moi je suis intarissable sur les coïncidences. Je passe mes journées à les glaner et mes nuits à les pétrir, à les tresser bout à bout, jamais rassasié. Mais celle d’aujourd’hui, elle m’est tombée sur la tête, elle s’est plantée dans ma nuque, elle s’est roulée dans ma gorge, elle m’étouffe.

 

Quand j’ai lu l’encart dans le journal ce matin, juste en dessous du bulletin météo, j’ai d’abord cru à une mauvaise blague. Les obsèques religieuses de Madame Simone Fontaine, âgée de 72 ans, auront lieu ce jour jeudi 14 août 2003, à 15 heures, en l’église Saint Hilaire à Asnières sur Vègre, où l’on se réunira. J’ai ruminé ça cinq minutes, incapable de me concentrer sur les mots. Mon mug avait creusé un cercle brun presque parfait sous le carré noir et j’ai essayé de gagner du temps en cherchant un triangle dans la page. J’ai d’abord cru que c’était ça qui avait attiré mon attention sur la rubrique nécrologique : la coïncidence géométrique. Mais rien à faire, mes yeux papillonnaient invariablement entre les deux mots : Orage, Fontaine, Fontaine, Orage.

 

Ca devenait obsessionnel pour nous tous, les mots d’eau, ces derniers jours. On en voyait partout. Un mirage collectif d’assoiffés textuels et d’assoiffés tout court d’ailleurs.  Ca m’rendait dingue cette chaleur, ça devait être ça.

 

J’ai décroché mon téléphone pour appeler Bertrand  et je lui ai demandé de jeter un coup d’oeil page 5 dans le Ouest du jour. Il buvait son café à la terrasse du Pub et je l’ai entendu déglutir avant de me répondre maussadement : Bah quoi, ça va péter, et alors…Tu lis la météo, toi, maintenant !

 

 J’ai dit regarde plus bas et il a ricané……et les rubriques nécrologiques, bah dis donc il est temps que ça pète, t’as les neurones qui fondent, mon vieux…et depuis quand ils font cohabiter les morts avec les nuages, d’ailleurs…

 

J’ai dit Mmmh t’as raison,  oublie, à c’ soir, avant de raccrocher. J’ai fait claquer les feuilles et l’orage s’est calmé quatre pages plus loin au dessus du cimetière : des carrés noirs et des croix, une pleine double page, mais pas une seule Fontaine. Pourtant, page 5 où les doigts moites de ma main gauche étaient restés collés, l’encart ne s’était pas évaporé pour autant. C’est à ce moment là que j’ai remarqué la note, minuscule, en italique : «  ses confrères et amis de l’Observatoire Météorologique du Val de Loir ont la douleur… ». Je l’ai revu ce jour-là, en haut du parc, avec ses bottes et son ciré ; Je l’ai entendu me crier, alors que j’en franchissais les grilles Au fait je m’appelle Simone, Simone Fontaine, la bien nommée, mais tout le monde m’appelle Mamée.

 

Tout le monde, même Bertrand…

 

Je l’ai rappelé. IL n’avait pas bougé, à deux ou trois clopes près. Il m’a écouté puis le silence s’est égoutté dans le téléphone…

 

Merde, tu te rends compte, on a son testament entre les mains, c’était écrit…

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12 décembre 2006 2 12 /12 /décembre /2006 22:19






Des mots montés de mon murmure intérieur se dessine un visage de femme, de femme liquide, de femme aqueuse. Ma Mamée est née sous un vilain crachin et a déjà mouillé ses bottes ici, ou bien encore là-bas, tout au long de petites ruelles incurvées.

 

Ma Mamée flotte au fond de moi, elle veut jaillir de mes mots, s’épanouir sous mes doigts. Sa source se perd dans les nappes phréatiques de mon murmure intérieur. J’ai déjà déplacé quelques pierres mais elles sont encore nombreuses et parfois lourdes. Mais, pierre par pierre, semaine après semaine, je la libèrerai de sa gangue de mots où elle croupit.

 

N’hésitez pas, l’effort est grand et je suis seule, aidez-moi à soulever ces petits cailloux que je ne verrai pas toujours, aidez-moi à creuser son lit, à le déplacer parfois.

 

Je vous propose de soulever la première pierre jeudi car demain soir j’ai rendez-vous avec une autre femme liquide, ce que je ne voudrais manquer pour rien au monde !

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