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14 mars 2007 3 14 /03 /mars /2007 21:14












(Traduction de Marguerite Yourcenar)


Les vagues de Virginia Woolf retracent la vie de six personnages – trois filles, Jinny, Rhoda et Suzanne, et trois garçons, Bernard, Louis et Neville- au travers de monologues qui vont et viennent tels le flux et le reflux des marées. Nous suivons, vagues après vagues, chacun de ces six personnages qui avancent et retirent leurs voix tout au long de leurs vies, de l’enfance à la vieillesse, du matin au soir.

 

Car chaque passage de leur vie – leur enfance, le collège, l’université, le dîner d’adieu à un septième ami, Perceval, qui part aux Indes, leur première confrontation à la mort, celle de Perceval justement, le seul personnage dont on n’entend pas la voix mais qui se tient au centre du groupe,  leur vie sans Perceval puis l’âge mûr, leur dernière retrouvaille et enfin l’approche de la mort – est introduit et éclairé par un court texte qui décrit la courbe du soleil sur une journée ; un soleil qui irise, caresse, puis illumine, frappe durement avant de lentement décliner sur l’océan, un jardin, la fenêtre d’une maison ; un soleil qui se lève, prend de la hauteur puis se couche au son des pépiements des oiseaux qui font échos aux monologues des six personnages.

 

Peu à peu, les personnalités de ces six amis se dessinent, s’affirment, se distinguent les unes des autres, tantôt par l’introspection, tantôt par le regard des autres.

 

Jinny se réfugie dans le plaisir, l’apparence et la frivolité,

Voici Jinny, dit Suzanne. Elle est debout sur le seuil. Tout semble immobilisé : le garçon s’arrête, les dîneurs assis à la table près de la porte lèvent la tête. On dirait qu’elle est au centre des choses (…) Elle situe les choses : elle leur assigne un ordre. Mais elle nous voit, elle marche ; et les rayons frémissent et les vagues nous enveloppent, apportant une marée de sensations nouvelles. Nous nous transformons.

 

Rhoda dans le rêve de sa vie,

J’ai éparpillé les mots comme le semeur éparpille le grain en éventail sur la terre nue où la charrue a passé. J’ai voulu dilater la nuit, et y faire entrer sans cesse de plus en plus de rêve.

 

Rhoda entre maintenant. ..Elle a du faire de nombreux détours…afin d’écarter le plus possible l’émotion du moment où elle nous reconnaîtrait, afin d’être libre un instant encore de bercer en paix des pétales dans un bol. Nous la réveillons, Nous sommes ses bourreaux. Elle nous craint, elle nous méprise, et cependant elle rampe jusqu’à nous parce qu’en dépit de notre cruauté il y a toujours un visage, un nom, qui resplendit pour elle, éclaire le pavé des rues et lui permet de repeupler ses rêves.

 

Suzanne s’accomplit dans la maternité et le plaisir simple des travaux de la terre.

Par ce chaud après-midi, au milieu du jardin, dans ce champs où je me promène avec mon fils, j’ai atteint le comble de mes vœux (…) J’’ai vu mes fils et mes filles, jadis couchés dans leur berceau pareils à des fruits sous un voile de mousseline briser les mailles qui les enveloppaient et m’accompagner dans les champs, en projetant sur l’herbe des ombres plus grandes que la mienne.

 

Etre aimé par Suzanne, ce serait être transpercé par le bec aigu d’un oiseau, être cloué à la porte d’une grange. (Louis)

 

Bernard s’enivre de mots, d’histoires qu’il laisse inachevées à la recherche d’une unité,

Souvent, des impressions toute visuelles nous transmettent brièvement des découvertes que nous ne parviendrons que plus tard à développer et à enclore dans des mots. (…) Moi, dont la vie se passe à couvrir de notes les marges de ma mémoire en vue d’arriver à quelques émouvantes découvertes finales, j’inscris cette remarque pour m’en servir durant une soirée d’hiver.

 

C’est que d’instinct, je bats monnaie avec les mots, je souffle mes billes de savon à travers les choses. Et ces observations me permettent de me différencier, de me construire ; en écoutant la voix intérieure qui me crie de noter tout ce que je rencontre au cours de mes flâneries, je me crois appelé à trouver durant une nuit d’hiver le sens de toutes ces choses, le lien qui les unit, et à faire le total qui les additionne toutes.

 

Neville tend sa vie vers toujours plus de connaissance et d’ordre tout en cherchant en chaque être l’image de Perceval, son amour perdu.

Aucun effort ne doit être épargné pour écarter de nous l’horrible laideur. Lisons des écrivains dont l’œuvre est empreinte d’une vertu et d’une austérité toutes romaine ; partons en quête de la perfection à travers les déserts de sable. Oui ; mais combien j’aime à échanger la vertu, la noble austérité romaine contre le regard lumineux de vos yeux gris, contre l’herbe dansante, les brises de l’été, et le rire et les cris de jeunes garçons qui jouent, de mousses à demi nus se poursuivant sur le pont du navire, des tuyaux d’arrosage en main.

 

Et Louis, l’exilé australien, deviendra riche et influent, sans jamais pour autant se défaire de sa peur du ridicule et du souvenir des moqueries de son enfance.

C’est bien cela : je suis plus fort et plus farouche que vous, et cependant mon bref séjour sur la terre après des millénaires de Non-Etre se passera à craindre vos moqueries…

 

 

Mais chacune de leurs vagues bruissent de solitude, d’un perpétuel questionnement sur la vie, sur la mort,

 

Des femmes passent sous mes fenêtres, comme si un gouffre ne s’était pas creusé dans la rue. (Neville)

 

Mon fils est né ; Perceval est mort. J’avance sur une jetée battue des deux côtés par un flot brutal d’émotions. Mais où est la douleur, et où est la Joie ? Je me pose vainement la question. Je sais seulement que j’ai besoin de silence, de solitude, et de plein air, et qu’il me faut consacrer une heure à examiner ce que devient mon univers endommagé par la mort. (Bernard)

 

 

le temps et la vieillesse,

 

Et le Temps s’égoutte, dit Bernard. La goutte se forme sur le rebord du toit de l’âme, et tombe. Le Temps la fait tomber.

 

Tiens ! Le reflet de mon corps est pris dans ce miroir…Comme il est solitaire, comme il est ratatiné, comme il vieilli ! (Jinny)

 

bruissent de la conscience de leur individualité mais également de leur appartenance au monde et du regard des autres.

 

Et pourtant, Neville, vous que je dédaigne afin d’être moi-même (Suzanne)

 

Qu’est ce que je pense de vous ?  Que pensez-vous de moi ? Qui êtes-vous ? Qui suis-je ? L’âcre mélodie résonne à nouveau, et note pouls se précipite, et nos yeux brillent, et tout le délire de l’existence individuelle recommence, lui sans qui la vie n’aurait plus qu’à céder la place à la mort. (Louis)

 

Ca recommence pourtant. Impossible de se débarrasser de l’odeur persistante de notre identité. Elle se glisse à travers je ne sais quelle fente de notre structure. (Louis)

 

 

 

Chaque vague s’enroule sur elle-même, disperse ses embruns, puise sa force dans celle que la mer reprend déjà,  mais s’échoue seule sur le sable, en laissant derrière elle des flaques ou les petits débris d’une cargaison fragile.

 

 

« Le plus difficile et le plus complexe de tous mes livres » note Virginia dans son journal le 28 mars 1930. Pas le plus facile en effet pour commencer la lecture de l’œuvre de Virginia Woolf, mais, que voulez-vous, le titre m’a appelé. A de nombreuses reprises, j’ai bien cru m’y noyer. Alors, je reprenais pied sur le rivage, le temps de reprendre un peu d’air, mais très vite je replongeait, happée par tant de sensations, de pensées, de flux qui font tant échos à l’océan que je trimbale. Je sors de cette lecture un peu groggy, un peu saoule. Je n’étais sûrement pas encore assez prête pour affronter tous les flux et reflux que ces Vagues ont soulevés en moi.  Elles y ont laissé une myriade d’embruns que je vais laisser retomber doucement, le temps de découvrir le reste de l’œuvre de Miss Woolf. Mais un jour, je le sais, je serais de nouveau « appelée » par ces Vagues. *

 

Encore quelques éclats de lectures, puisés au gré des marées …

 

Les hommes et les femmes se sont si souvent servis du langage pour exprimer les choses que chaque mot est maintenant un levier capable de soulever le monde. (Neville)

Sans cesse, des étrangers entrent, des gens que nous ne reverrons jamais plus, et dont la familiarité, l’indifférence nous bousculent qu passage, nous donnent le sentiment désagréable d’un monde qui se passe de nous. (Rhoda)

Les flots de notre vie peuvent à peine encercler faiblement cette tige de chardon de mer ; nous n’arrivons même pas jusqu’à ce galet placé hors de la portée des flots. (Bernard)

Ce galet, le Jean-Baptiste de ma Mamée…

 


 

* J’en profiterai pour découvrir une traduction plus récente, celle de l’écrivain Cécile Wajsbrot, qui date de 1993. Je ne connais malheureusement pas le texte original et je me désole de ne jamais pouvoir entendre la vraie voix de Virginia, malgré une certaine connaissance de l’anglais (but the commercial one only, sniff…). Toutefois, à la lecture de la traduction de Margueritte Yourcenar, j’y ai parfois relevé quelques lourdeurs de styles, ce « room », surtout,  invariablement traduit par « chambre » alors que le mot « salle » ou « pièce » eut mieux convenu quand on sait que l’action se déroule dans un pub ou un restaurant ; et puis le vouvoiement entre ces six amis, qui, malgré l’époque et le milieu social aisé, ne retranscrit sûrement pas la voix et le message de l’auteur. Enfin…Suis-je vraiment la mieux placée pour émettre de telles critiques ? ! Juste une impression…

 

 

 

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20 février 2007 2 20 /02 /février /2007 22:44













Merci, mille mercis Lily, de m’avoir conseillé de pousser les portes de l’univers de Virginia Woolf. Je suis plongée dans la lecture des « Vagues », traduit par Marguerite Yourcenar et j’en reparlerai ici sûrement, tant cette lecture me touche. En voguant de clics en clics, j’ai découvert un extrait d’une traduction plus récente et il m’a semblé très intéressant de le mettre ici en parallèle avec l’extrait traduit par Marguerite Yourcenar.

Petit clin d’œil à Holly et à son délicat travail d’orfèvre avec les mots…

Ah ! Ce que j’aimerais maîtriser davantage l’anglais littéraire pour découvrir l’œuvre original …

Extrait des Vagues de Virgina Woolf. Livre de Poche Biblio – Traduction de Marguerite Yourcenar - 1937

«   J’ai arraché tous les feuillets des mois de mai et de juin, dit Suzanne, et vingt jours du mois de juillet. Je les ai arrachés et roulés en boule, de sorte qu’ils n’existent plus, sauf comme un poids que j’ai sur le cœur. C’étaient des jours infirmes, pareils à des papillons de nuit aux ailes recroquevillées, incapable de prendre leur vol. je n’ai plus que huit jours à passer ici. Dans huit jours, je sauterai du train sur le quai, à six heures vingt-cinq. C’est alors que mon sens de la liberté va s’épanouir, faisant craquer toutes ces restrictions qui le recroquevillent et qui le froissent : l’ordre, et la routine des journées, et l’obligation d’être ici, ou d’être là à heure fixe. Le jour jaillira comme un flot quand j’ouvrirai la portière, et quand je verrai mon père avec ses guêtres et son vieux chapeau. Je vais trembler. Je vais fondre en larmes. Puis, le matin suivant, je me lèverai à l’aube. Je sortirai par la porte de la cuisine. Je me promènerai dans la lande. De grands chevaux montés par des fantômes galoperont derrière moi, puis s’arrêterons soudain. Je verrai les hirondelles frôler les herbages. Je me laisserai tomber sur la berge, au bord de la rivière, et je regarderai les poissons se faufiler entre les roseaux. Les aiguilles de pins laisseront leurs empreintes dans mes paumes. Là-bas, je vais pouvoir entrouvrir et examiner de près ce que je ne sais quoi de dur qui ici a grandi en moi. Car quelque chose ici a grandi en moi, pendant tant d’hivers et tant d’été, dans les dortoirs et dans les cages d’escaliers. Je ne veux pas être regardée avec admiration par les gens quand j’entre dans les chambres. Je veux donner, je veux être donnée, et je veux la solitude pour y déployer en paix mes possessions. »

 

Extrait des Vagues de Virgina Woolf. Éditions Calmann-Levy, traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Cécile Wajsbrot. 1993

« J'ai déchiré tout mai et juin, dit Susan, et vingt jours de juillet. Je les ai déchirés, roulés en boule, pour qu'ils n'existent plus, il reste une lourdeur en moi. C'étaient des jours mutilés, comme des phalènes aux ailes rognées incapables de voler. Il ne reste que huit jours. Dans les huit jours, je descendrai du train, je serai sur le quai à six heures vingt-cinq. Je déroulerai ma liberté, et les restrictions qui froissent et qui plissent - temps, ordre et discipline, être ici et là à l'heure précise - exploseront. Le jour jaillira quand, ouvrant la porte, je verrai mon père avec ses guêtres, son vieux chapeau. Je tremblerai. J'éclaterai en sanglots. Le lendemain je me lèverai à l'aurore. Je sortirai par la porte de la cuisine. Je marcherai dans la lande. Les grands chevaux des cavaliers fantômes tonneront derrière moi et s'arrêteront soudain. Je verrai l'hirondelle raser l'herbe. Je me jetterai au bord de la rivière et je regarderai le poisson plonger et reparaître dans les roseaux. J'aurai les paumes des mains marquées par les aiguilles de pin. Je déferai, j'ôterai ce qui s'est formé ; la dureté d'ici. Car quelque chose a grandi en moi, au fil des hivers et des étés, sur les escaliers, dans les chambres. Je ne veux pas être admirée comme Jinny. Quand j'arrive, je ne veux pas que les gens lèvent les yeux avec admiration. Je veux donner, qu'on me donne, je veux la solitude, et découvrir ce que j'ai.

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