Je ne me souviens jamais de mes rêves. Aussi, ai-je été très surprise, il y a quelques nuits, de me réveiller avec une phrase dans la tête, que je notais aussi sec au crayon de papier sur un vieux carnet qui traînait, parmi mes lectures en cours, sur ma table de chevet. J’avais, bien entendu, complètement oublié cette anecdote jusqu’à cet après-midi où par hasard j’ouvris mon carnet pour y déchiffrer tant bien que mal à la dernière page la phrase suivante :
Depuis, j’ai ruminé cette phrase sans arrêt. En écoutant la radio, en cuisinant, en jardinant, en regardant la télévision, jusqu’à l’oublier complètement parfois et courir aussi vite (de peur d’oublier de le faire) jusqu’à mon petit carnet pour la mâcher à nouveau, à seule fin d’en faire sortir le suc.
La vie, peut être, qui par son flux incessant, son rythme trépidant, les images et les sons dont nous sommes chaque jour abreuvés, nous empêche de nous libérer de nos mots et ainsi d’atteindre l’émotion que procure cet envol.
La mémoire, sûrement, qui au jeu du flux et du reflux, emporte bien trop souvent au large les mots que nous pensions en sûreté sur la plage. (D’où l’utilité d’un petit carnet).
La solitude, enfin, qui, quand elle n’est pas vécue comme une grâce*, peut, en séquestrant les mots qui ne trouvent plus en l’autre l’écho, mener à la folie.
Toujours est-il que je trouve cette phrase énigmatique très belle, belle parce qu’énigmatique et ouverte sur sa sentence contraire, justement : la libération des mots.
Je vous l’offre, donc, …avant de perdre mon petit carnet.
* A ce sujet, je vous conseille la lecture de " La Grâce de solitude " de Marie de Solemne paru chez Albin Michel, coll . « Espaces libres » : Entretien avec Christian Bobin, Jean-Michel Besnier, Jean-Yves Leloup et Théodore Monod. On en parle si peu de cette « Grâce » de solitude, à tel point qu'avouer aimer la solitude est bien trop souvent perçu aujourd’hui comme un mensonge ou une marginalité.