C’était votre ami, un ami de l’enfance, un grand frère qui vous avait aidé à ouvrir quelques portes à l’âge si constructeur de l’adolescence. Un être d’exception : beau, (charmeur !), intelligent, sensible, drôle, subtil, à l’écoute des autres, passionné de nature, sain. Un grand frère qui avait failli faire partie de votre famille mais que les aléas de la vie avaient peu à peu éloignés de vous. Vous l’aviez revu de temps à autre et chacune de vos brèves rencontres, de vos brèves retrouvailles avaient été un vrai moment de bonheur, de ces moments qui vous font sourire quand tout va mal et qui font que malgré la distance et le temps qui passe cet homme était et serait toujours pour vous un être à part.
Et puis un jour, vous apprenez sa mort. Accident de montagne. Les hasards de la vie font qu’après quatre ans de séparation, d’éloignement, vous l’aviez revu quinze jours plus tôt, le temps d’un bref pique-nique près d’un lac ensoleillé surplombé par les montagnes. Et depuis ce jour, vous n’aviez cessé de penser à lui, à son air faussement gai ce jour-là, à ses traits vieillis, fatigués, et vous ne cessiez de tourner et de retourner dans votre tête les façons de l’aider à traverser les épreuves que la vie mettait alors au travers de sa route : le deuil d’une mère, un couple fragilisé…
La nouvelle de sa mort est un choc pour vous, vous n’aviez jamais été confronté à la mort auparavant. Vous refusez d’y croire, une barre douloureuse s’installe brutalement dans votre nuque, vous ne parvenez même pas à pleurer. Vous traversez la France à nouveau, quinze jours se sont écoulés depuis votre bref et intense séjour montagnard et vous refaites dans la douleur ce même trajet que votre corps avait associé, il y a si peu de temps encore, au plaisir. Vous traversez la France à nouveau parce qu’il ne peut en être autrement. Pour sa veuve, pour ses enfants, que vous connaissez si peu finalement, pour vous surtout, parce que vous le voyez si vivant près de ce lac.
La barre s’estompe dans votre nuque, la vie reprend peu à peu mais vous savez que plus rien ne sera jamais comme avant. Vous étiez inconsciente, invulnérable, vous aviez le temps, toujours le temps. Mais vous connaissez à présent la douleur de la mort, l’absurdité de la vie, la peur. Alors, vous écrivez, soir après soir. Sur la mort, sur la vie, à jamais différente, qui a le goût des choses révolues et des deuils à venir. Sur votre ami surtout avant qu’il ne soit trop tard, avant que les souvenirs ne s’estompent.
Et puis sa femme vous appelle. De passage par ici, elle veut vous voir, besoin de parler. C’est le soir du quatorze juillet, il y a plein de monde aux terrasses des cafés, un petit air de fête. La vie. Vous êtes assise en face d’elle dans l’obscurité naissante et vous l’écoutez, vider son sac de larmes, de douleur, parler de lui. Et vous prenez peu à peu conscience ce soir là, en écoutant ses confessions, ses découvertes récentes, post mortem, que cet être d’exception était faux, manipulateur, double. Vous en prenez conscience à doses homéopathiques, les sourcils froncés dans l’obscurité totale à présent, avec au fond de vous vos mots posés sur le papier, vos mots d’amour qui, parce que posés sur le papier justement, résonnent plus vrais, mêlent le faux au vrai, vous font perdre pied. Un temps, un bref instant et vous ne saurez plus où se situe la vérité, où est le bien, où est le mal, les mots parlés, les mots écrits, les souvenirs,les non-dits.
J’ai lu d’une traite « La véritable histoire de mon père » que l’auteur, Nicolas Cauchy, m’a fait parvenir par courrier il y a quelques jours. Je l’ai lu d’une traite et avec un malaise croissant, presque insupportable. Car, tandis que je le lisais, et bien que ces deux histoires soient fort heureusement très différentes (et que l’on ne peut réduire ce roman à cette impression de lecture) se juxtaposait à ses mots, malgré moi, la véritable histoire de mon ami : les faux-semblants, la « folie », jusqu’à cette coïncidence, la montagne, les pierres qui roulent sous ses pieds. Et cette vérité, impalpable, les non-dits, la force de l’écrit.
J’ai longuement hésité à poster ce billet mais très vite il m’est apparu que je ne pourrais « parler » de ce roman autrement qu’en évoquant cette lecture miroir. Mais c’est aussi (et surtout) ça la lecture, et le « vous » employé par l’auteur y contribue grandement.
Tout comme Holly, dons je recommande ici la critique, je lirai votre prochain roman, Nicolas, mais cette fois-ci je l'achèterai.
Lire aussi, la critique de Lily et de Laure
Le site de Nicolas Cauchy.
(Ps : Laure, tu as une très jolie écriture et tes poules sont très mignonnes !)