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28 janvier 2007 7 28 /01 /janvier /2007 22:40




Comme un prétexte à bout de bras, lui, son corps, caché derrière la porte, l’antichambre de notre enfer. Répéter dans une forge, en pleine canicule, non mais vraiment…c’était bien une idée de Benoît, ça.  J’peux t’dire qu’on l’attendait de pied ferme, celui-là, une plombe qu’on poireautait tous les six. Pas à prendre avec des pincettes. J’avais ma gratte qui dégoulinait au bout de mes doigts, les cordes devenaient flasques à chaque accord. T’en pinçais une et t’avais celle d’à côté qui s’faisait la malle. Y’a rien à faire quand les notes s’échauffent comme ça, le ‘la’ sitôt trouvé qui se lasse aussi sec sous la moiteur de tes doigts, l’accord qui se ramollit, les mauvaises ondes dans ton poignet.

 
Non, rien à faire.

 
On remballait quand il est arrivé. On a d’abord vu, brandi devant lui, comme un prétexte donc, son vieux carnet à spirales, comme une marionnette ; sa gueule carrelé toute fripée se dandiner dans l’entrebâillement de la porte, sa gueule en papier mâché et son dentier métallique d’où pendouillaient quelques lambeaux de chair. Et lui, derrière, avec sa basse en bandoulière et sa voix de fausset qui claironnait : « J’vous ai trouvé Blanche Neigeuuuux ! ».

 
En temps normal ça nous aurait p’t’être fait marrer, comme la bonne blague habituelle qui soude un groupe, le rend plus fort, indestructible, aux yeux des autres, ceux qui comprennent pas vos p’tits sourires complices ou vos rires carrément gras. A chaque fois…Blanche Neige ! Nan, tu vois pas ? Bah, on est six mecs dans le groupe, sept avec Patrice qui nous prête sa forge pour répéter et pas une seule nana, voilà, c’est tout quoi. Manque une âme féminine ici, qu’on nous a dit un jour. D’ où Blanche Neige. Ouaih bon, nous faut pas grand-chose…Mais, là, nous parler de Banche-neige, à près de quarante degré, tu comprends, c’était presque indécent. Déchaînés on était. Contre lui. Pouvait s’la remballer sa Blanche-neige, nous, on aurait rien emballé ce soir là. Trop chauds. Enfin, sauf Patrice, parce que lui la chaleur. Ca ne l’avait pas empêché de tambouriner toute la soirée et de tremper ses grosses pinces dans l’eau bouillante même qu’à chaque fois on avait l’impression qu’il décapsulait une canette. Ca n’arrangeait rien à nos nerfs, tu vois bien.

 
Il a quand même essayer d’en placer une, nous dire qu’il avait de bonnes raisons d’être en retard donc, qu’il venait de rencontrer une femme extraordinaire, belle, drôle, subtile et …aqueuse. Aqueuse ! Non, mais tu vois l’tableau. Imagine : cinq mecs, assommés par la chaleur et le bruit d’un sixième qui contorsionne ses barres rougies dans son coin, cinq mecs assoiffés, moites et chauffés à blanc par l’attente, à qui on parle d’une nana aqueuse. Le genre d’interrupteur verbal qui déclenche invariablement un déluge de blagues douteuses. Les mecs ensemble, enfin, tu sais…Bah même pas. Te dire dans quel état on était. Lessivés, détrempés, des chiffes molles pressées de quitter la fournaise pour s’écrouler sous une douche froide ou dans la Sarthe, va savoir où nos pas, ce soir là, auraient pu nous mener. J’ai vaguement vu Benoît hausser les épaules, arracher une page de son carnet et glisser son torchon dans une des poches de mon jean. Tu liras ça demain à tête reposée…

 
C’est comme ça qu’elle est entrée dans notre vie, Mamée. Une goutte d’eau à la porte de notre enfer de flamme, une goutte d’eau dans ma poche, dans ma p’tite vie étriquée, jusqu’à ce que je déplie le papier le lendemain matin. Et là, j’ai sauté sur le p’tit Robert pour vérifier. Aqueux, aqueuse : Qui est de la nature de l’eau, ou qui contient de l’eau. Jamais entendu ce mot là avant. Aqueuse…

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