« N'est-ce pas quelque chose que vous avez déjà vécu ? Vous éprouvez soudain pour quelqu'un ce qu'on peut appeler un sentiment amoureux et il faudrait, pour que cette petite exaltation se transforme en une relation, que vous y mettiez un peu du vôtre ; or, au moment où il convient que vous soyez le plus présent à la situation, quelque chose vous en distrait. Je ne sais pas moi, une pensée, un souvenir, quelqu'un qui passe, ou tout simplement le combat que mènent en vous Timidité et Hardiesse, Désir et Inquiétude, Fougue et Paresse. Mais d'où nous vient cette propension à l'esquive ? »
Dans ce recueil, Christine Montalbetti brode six nouvelles, six nouvelles comme autant de variations sur le même thème : l’art de la fugue, de l’esquive amoureuse. Et on se régale, croyez-moi !
Autour d’un thème original et universel,
(Ne me dîtes pas que vous n’avez jamais vécu ça …J’ai personnellement jadis idolâtré en secret, pendant près d’un an, un grand bêta de première que je croisais tous les matins dans le bus qui me menait au Lycée, sans jamais rien oser, et j’y pense encore aujourd’hui, bien des années plus tard, comme un évènement faisant partie intégrante de ma vie… et vous ?)
Christine Montalbetti nous offre un regard pointu et ironique sur les « mondes intérieurs que l’on porte avec soi sans les connaître ».
Dans « Un duel », Jalil, invité à une réception, entraîne un peu à l’écart une femme qui le trouble, et se retrouve subitement confronté à deux émotions qui se battent en duel en lui : Allégresse et Désagrément (autrement appelé timidité).
Cette allégresse et ce désagrément se mènent une petite guerre sur le terrain de son for intérieur.
Imaginez un peu le combat obstiné et farouche d’Allégresse et de Désagrément, superbement casqués, armés de lances, et s’affrontant bille en tête dans l’obscurité pariétale des entrailles de notre homme.
N’avez-vous jamais ressenti, comme dans « Les androïdes », cette étrange impression que le monde extérieur, vu au travers de la baie vitrée d’un café qui en coupe tous les sons, est un immense aquarium peuplé de créatures issues d’un monde parallèle.
Et comme l’insecte, alors, l’œil finit par se heurter contre la vitre de la baie.
Le choc l’ébranle. Par-delà, passe le ruban des figurants, emportés dans le flux de leur marche. Enveloppés dans une lumière bleuie et qui tranche avec celle, jaune, de la salle, pris dans un mouvement qui contraste avec l’apathie de notre duo, ils paraissent évoluer dans un autre espace-temps. On les voit se croiser, nonchalamment, enfermés dans leur intériorité, chacun rédigeant en lui-même le journal de sa journée tout en rentrant chez soi ; (…) A eux tous, ils représentent l’idée même de hasard, on dirait qu’ils sont là pour l’incarner, circulant comme les boules numérotées d’un jeu de fortune. Et à la fois, ils brassent chacun une quantité incroyable d’images intérieures dont l’hypothèse bouleverse note Tom.
(Bon j’arrête là sinon je citerai toute la nouvelle !)
Dans « Une visite au zoo », un homme qui se promène dans les allées d’un zoo, réglant son pas sur celui d’une femme qu’il espère à cette occasion séduire, ne peut empêcher son esprit de s’exiler en songe vers les souvenirs de tous les zoos qu’il a visité (ou dont il s’est approché), faisant ainsi de ses souvenirs des images, soudain plus concrètes, qui se superposent à ce qu’il est en train de vivre, qui, à son tour, un jour, deviendra un souvenir doté, « à sa façon d’ une sorte d’existence ».
Il y a, je crois, à cette expérience par où certain lieux ou certain objets ont la capacité soudain, de vous projeter en des temps anachroniques, quelque chose de fantastique ; une impossible propulsion en arrière dans la chaîne du temps, dont tout à coup on fait l’épreuve, projeté malgré soi à des années de distance, arraché à sa propre contemporanéité, dont le savoir pourtant persiste conjointement au trajet temporel auquel on est sujet et dont le mouvement a bien, si l’on y songe, de quoi désarçonner.
« Le complexe de Mosca » met en scène un homme, Arshad, qui rentre de vacance et marche dans les rues de sa ville. (Superbe description du pas d’un homme qui rentre de vacance et qui doit se réapproprier sa ville). Tout en cheminant, il songe à une jeune femme rencontrée au cours d’une soirée juste avant son départ et qu’en ce jour de rentrée, il ne songe qu’à revoir …
Le voilà qui s’était donc mis à brasser quelques scénarios intérieurs un peu souples, et dont il n’hésitait pas à réécrire longuement les moments les plus doux, essayant différentes versions de leurs retrouvailles.
Et là, soudain, devant lui, il la voit…
Restons calme.
Ah si je savais comment m’y prendre pour que vous n’alliez pas, un peu hâtivement, penser que ce n’est là qu’une coïncidence de roman, quand l’affaire, je vous le jure, est arrivée à quelqu’un que je connais, quelqu’un qui m’est très proche (on pourrait dire moi-même).
Allez, je vous laisse imaginer la suite….
Que dire de plus ? Je suis sous le charme…Gros, très gros coup de cœur pour ce recueil de nouvelles et pour l’écriture de Christine Montalbetti, fine, pointue, drôle, émaillée de parenthèses et d’apartés au lecteur (décidément, j’adore ça..) qui dépeint un univers intérieur si proche du mien.
Bref, une romancière à découvrir et à suivre de très, très près….
Faîtes courir le bruit !
Allez, je ne résiste pas, une p’tite dernière :
Si je peux me risquer à raconter ici, par parenthèse et illustration, un souvenir personnel (se mettre toujours au service de l’histoire d’autrui a quelque chose de plombant), j’ai fait moi-même une expérience, enfant, dans une rue de Londres, qui ne laisse pas aujourd’hui encore de me rendre perplexe. J’avais, voyez-vous, fixé, oh, quelques secondes à peine, mais avec au cœur une désapprobation dont je ne m’explique plus la cause, le sac d’une femme qui marchait devant moi, juste à la jointure de la bandoulière et de la poche principale. Aussitôt, la bandoulière s’était rompue (qui peut me tancer de ce que, désormais, je détourne pudiquement les yeux quand un avion décolle ?).